Le principal résultat du Sommet européen du 15 octobre est l’assentiment donné par les 28 chefs d’État ou de gouvernement au « plan d’action turco-européen » négocié par la Commission. Rien ou peu sur la mise en place d’une véritable politique européenne d’asile et d’immigration. Rien non plus sur la tant attendue révision du mécanisme de Dublin. Pas non plus d’annonce quant à un effort conjoint pour mettre fin à l’horreur en Syrie.
Le député européen MR Gérard Deprez réagit aux conclusions de ce Conseil européen : « En tant que shadow rapporteur (rapporteur fictif) du groupe ALDE sur la proposition de la Commission visant à établir une liste européenne de pays d’origine sûrs, je pourrais accepter l’idée d’inscrire la Turquie dans cette liste pour autant qu’il soit clairement établi que les demandes de protection internationale émanant de citoyens turcs appartenant à des minorités maltraitées ou persécutées, comme les Kurdes par exemple, soient traités avec toutes les garanties requises. Cela implique notamment que le concept de « pays d’origine sûr » ne puisse être appliqué qu’après un examen individuel prévoyant une interview personnelle, l’accès à une assistance judiciaire et la garantie d’un droit d’appel. »
Une fois la Turquie inscrite dans liste européenne des pays d’origine sûrs, les États membres auront la possibilité de lui appliquer le concept de pays tiers sûr. L’application de ce concept entraîne pour conséquence que tout demandeur de protection internationale cherchant à entrer, ou qui est entré, illégalement sur le territoire d’un EM depuis la Turquie ne verra pas sa demande examinée quant au fond. La Turquie sera considérée comme le premier pays d’asile du demandeur et c’est elle qui devra traiter la demande. La justification avancée pour ce fait est que sont les Etats voisins de celui dont sont originaires les demandeurs d’asile qui doivent normalement assurer leur protection, pour autant que les conditions d’accueil y soient satisfaisantes.
En échange de cette coopération stratégique avec l’Union pour contenir l’afflux de réfugiés, la Turquie espère une série de contreparties, dont un soutien financier conséquent qui pourrait aller jusqu’à 3 milliards d’euros, une accélération de la libéralisation du régime des visas et la reprise des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Je suis également Shadow rapporteur sur la refonte du code visa Schengen. A ce titre, je considère que la question de la libéralisation du régime des visas pour les ressortissants turcs se rendant dans l’espace Schengen doit être examinée en détails.
Souvenons-nous qu’une feuille de route pour l’instauration d’un régime d’exemption de visa a été établie en décembre 2013 par la Commission. La Turquie doit tout d’abord satisfaire à toutes les exigences énoncées dans cette feuille de route et démontrer que la suppression de l’obligation de visa n’entraînerait pas de risques importants en matière de sécurité et de migration.
Ce n’est que lorsque ce processus aura été mené que la Commission pourra présenter au Conseil et au Parlement une proposition visant à modifier le règlement (CE) n 539/2001 qui dresse la liste des pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d’un visa et ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation.
Dans son premier rapport sur les progrès accomplis par la Turquie dans la mise en œuvre des exigences énoncées dans la feuille de route (octobre 2014), la Commission a salué certains progrès réalisés par les autorités turques mais elle a également souligné que de nombreuses mesures restaient nécessaires. La Commission a formulé de nombreuses recommandations : délivrance de passeports biométriques, renforcement de la coopération avec les États de l’UE pour la détection des documents de voyage falsifiés, mise en place d’un système plus moderne, efficace et intégré de gestion des frontières, signature, ratification et mise en œuvre de plusieurs conventions internationales, poursuite de la réforme du système judiciaire, révision de la législation antiterroriste, etc.
La simple énumération de ce qui reste à accomplir par la Turquie démontre que le chemin est encore long avant une possible libéralisation totale des visas.
Par ailleurs, l’autocrate Erdogan fait preuve d’un cynisme manœuvrier en s’abstenant délibérément de contrôler les flux de migrants à destination de l’Union européenne, de manière à être en capacité d’exercer une pression sur les gouvernements européens et de monnayer chèrement sa coopération. Sera-t-il encore intéressé par une coopération avec l’UE, si d’aventure il gagnait les élections législatives, lui qui, sous couvert de combattre l’Etat islamique, a déjà pris le risque de déclencher une guerre contre les Kurdes dans son propre pays ? »