Soixante ans ! « L’Europe » vient de fêter son soixantième anniversaire. Est-ce beaucoup ? Est-ce peu ? Pour un être humain, c’est la porte d’entrée du 3ème âge. Pour une civilisation, c’est à peine l’âge de l’école, de la sortie du cocon familial pour découvrir le monde. Mais quelques traits saillants sont déjà visibles.
Voyons d’abord ce qu’il y a d’incontestablement positif.
D’abord une période de paix qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’Europe.
Ensuite des réussites ponctuelles : une politique agricole commune qui nous a fait passer de la dépendance alimentaire à la surproduction (pénible pour les agriculteurs) ; la suppression des droits de douane à l’intérieur du marché commun qui a diminué les coûts et accru les échanges ; l’établissement de normes communes de qualité et de sécurité pour les produits au bénéfice des consommateurs ; l’éradication progressive des surcoûts imposés par les opérateurs (roaming) ; la liberté de circulation à l’intérieur de l’espace Schengen dont profitent des centaines de millions de voyageurs et de touristes ; la création d’une Europe des étudiants et des universités grâce au programme ERASMUS appuyé sur le dispositif de Bologne ; la solidarité avec les régions en retard de développement ; l’introduction d’une monnaie unique, l’Euro, qui facilite la vie des consommateurs, des entreprises et des Etats…
A côté de ces réussites, il y a aussi – il faut avoir le courage de le reconnaître – quelques ratés dont l’impact est lourd pour certains groupes de citoyens, au premier rang desquels les travailleurs du secteur privé.
Dans certains secteurs (construction, transport, …) ils subissent la concurrence, trop souvent déloyale, d’autres travailleurs européens venus des pays à bas salaires.
Dans d’autres secteurs (produits manufacturés, automobile, …) ils sont victimes de délocalisation, à l’intérieur même de l’Europe, en raison des différences de coûts salariaux et fiscaux, et aussi vers l’extérieur du fait de la mondialisation.
Dans tous les secteurs, la flexibilité souvent associée à la précarité, accroît l’inquiétude, déjà élevée du fait des programmes d’austérité.
On ne dira jamais assez à quel point l’absence d’Europe sociale et fiscale joue un rôle déterminant dans la perte de confiance sinon d’hostilité des milieux populaires à l’égard de l’Europe. Pour eux, l’Europe ne protège pas, elle menace.
Plus généralement, d’autres ratés sont mal perçus par de nombreux citoyens : le caractère désordonné des flux migratoires qui met en lumière les carences du contrôle des frontières extérieures et l’absence de politique commune d’asile ; les faiblesses de la coopération entre les services de police et de renseignement révélées par de récents attentats terroristes ; les tensions croissantes entre les pays plus riches et les moins nantis, entre l’Est et l’Ouest…
Le tout sur fond d’insatisfaction croissante devant la lourdeur de la bureaucratie européenne, l’éloignement du pouvoir, l’insuffisance présumée du contrôle démocratique.
Je le dis tout net : si rien ne change, les peuples vont progressivement déserter l’idée d’Europe pour se réfugier dans le nationalisme. Le processus est déjà en route : des leaders populistes entonnent les louanges de la préférence nationale et réclament le retour des frontières intérieures, du franc, de la lire, du florin. Un « Brexit » larvé couve dans plusieurs pays.
La réaction doit être rapide et forte : l’Europe doit devenir d’urgence un espace protecteur, la croissance doit y être forte, l’emploi et en particulier l’emploi des jeunes une priorité absolue.
Je ne vois qu’un moyen d’y parvenir : le nouvel élan dont l’Europe a besoin passe par un saut qualitatif de la zone Euro. Il faut un gouvernement de la zone Euro, un parlement de la zone Euro, un budget propre, une harmonisation sociale et fiscale.
Cela ne suffira peut-être pas. Mais si nous ne le faisons pas, le rêve européen va s’enliser dans les brumes de la désintégration.