Célébration du Cinquantième anniversaire du
Traité de Rome
Union des Avocats Européens
Palazzo Spada - Rome 23 mars 2007
Intervention
de Gérard Deprez :
"Déterminés à établir
les fondements d'une union sans cesse plus étroite
entre les peuples européens." Alinéa 1. Préambule
du Traité de Rome.
Phase magique. C'est celle qui dit tout, qui annonce tout, c'est
l' a & l' ?, comme dirait Theilhard de Chardin.
Déterminés: c'est l'affirmation
d'un acte de la volonté, et non de la fatalité.
Ils ne sont pas poussés, ils ne sont pas conduits, ils ne
sont pas désireux, ils sont déterminés.
Politiquement, c'est un engagement fort.
Analytiquement, c'est une annonce.
L'aventure dans laquelle ils s'engagent et dans laquelle ils engagent
leurs peuples n'est pas un donné de l'histoire.
Ce sera, dès le départ, et cela restera toujours un
acte volontaire qui sait d'avance, qui annonce qu'il se heurtera
à beaucoup de réticences, à beaucoup de résistance,
voire même à des oppositions, sinon à des hostilités.
Il est remarquable - et ce mot est aujourd'hui plus que jamais d'actualité
- que le traité de Rome débute par ce mot puissant
et radical: la détermination, c'est-à-dire l'affirmation
d'une volonté qui ne se laissera ni détourner, ni
arrêter.
Etablir les fondements:
Après la posture, la méthode. Les rédacteurs
sont conscients, dès l'origine, que ce qu'ils visent à
instaurer et qui sera précisé juste après,
n'est pas à portée de leur détermination, si
grande soit elle. Ce qu'ils visent ne se réalisera qu'au
travers d'une alchimie dont ils ne sont pas, dont ils ne seront
pas les acteurs décisifs.
En étant déterminés à établir
les fondements, ils précisent la nature de leur responsabilité
dans l'entreprise qu'ils initient, en même temps qu'ils définissent,
dans un raccourci saisissant, la nature même de l'acte politique
démocratique. Ils ne sont pas les démiurges d'une
nouvelle identité, ni les architectes d'un homme nouveau,
mais les artisans du fondement.
Ils ont l'ambition d'établir le socle sur lequel pourra se
construire, non par eux mais par ceux aux noms desquels ils parlent,
ce qui est le but de leur entreprise mais dont l'avènement
leur échappe parce qu'il implique une durée et qu'il
est d'une nature qui est hors de leur portée.
Une union sans cesse plus étroite.
Après la posture, après la méthode, voici la
finalité. Le mot employé ici revêt une signification
particulière. Il s'agit très précisément
du mot qui qualifie le lien le plus positif et le plus intense qui
puisse exister: l'union. Il ne s'agit pas simplement d'une harmonisation
de droits, de convergence des intérêts, d'amélioration
des conditions de vie, il est question en réalité
de quelque chose de beaucoup plus immatériel, pour ne pas
dire spirituel: l'objectif est d'aboutir à créer entre
ceux qui sont les sujets historiques, le lien le plus positif et
le plus fort qui soit.
Et nous voilà au mot de la fin.
Quels sont les bénéficiaires de l'entreprise? Ou plus
exactement quels sont les acteurs décisifs par lesquels pourra
advenir ce qui est le but ultime?
Les mots employés ont ici aussi une signification très
précise et, pour dire le fond de ma pensée, une portée
magnifique.
Il ne s'agit pas des Etats, remarquons-le bien. Les Etats signataires
ne sont, à la vérité, que les initiateurs de
la démarche, les artisans de la construction des fondements.
Mais ce qu'ils mettent en mouvement, c'est leur propre dépassement.
Le lien positif et intense qu'il s'agit de faire advenir, ce n'est
pas entre eux qu'il est question de l'établir. Ils ne sont
donc plus, dans l'ordre des finalités, ni les acteurs, ni
les bénéficiaires du lien. En d'autres mots, ce n'est
pas une Union d'Etats qui est le but de l'entreprise, mais une réalité
nouvelle qui est au-delà de ce qu'ils sont.
Ce n'est pas non plus une union de simples citoyens, monades abstraites
coupées de la réalité historique qui les a
singularisés.
En utilisant le concept de "peuples", les rédacteurs
du Traité affirment, dans une même envolée,
deux principes fondateurs.
Premier principe: la reconnaissance de la diversité. Les
habitants de l'espace européen, s'ils sont égaux,
ne sont pas identiques mais différenciés: ils ont
entre eux des liens privilégiés, préexistants
qui viennent de leur histoire, de leur langue, de leur culture,
de leur mode de vie et qui les constituent en tant que peuples singuliers.
Cette diversité des peuples, les rédacteurs, non seulement
ne la nient pas, mais ils la reconnaissent et ils la consacrent.
Ils la consacrent d'ailleurs - c'est le second principe - de la
manière la plus explicite en faisant des peuples européens
à la fois les acteurs et les destinataires ultimes de l'entreprise
voulue par le Traité!
Sur base des fondements établis par les Etats Membres fondateurs,
c'est en effet aux peuples européens qu'il revient, dans
le respect de leur singularité, de tisser les liens qui les
conduiront à une union de plus en plus étroite.
Jusqu'où ira cette union? La phrase ne le dit pas explicitement,
mais elle le fait deviner en creux. L'Union sera la matérialisation
du lien construit entre les peuples par les peuples, au-delà
des Etats membres fondateurs.
Si cela n'est pas une ambition politique fédérale,
je ne sais comment on pourrait qualifier le projet.
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