Cas de conscience
Le jeudi 12 décembre 2013, le Sénat a adopté à une large majorité, la proposition de loi octroyant aux mineurs la possibilité de demander l’euthanasie. Après avoir longuement réfléchi, j’ai décidé, en mon âme et conscience, de ne pas approuver cette proposition de loi. Ces quelques extraits de mon intervention au Sénat vous en expliquent les principales raisons.
Pour que cette possibilité puisse être effectivement mise en œuvre, il faut :
- 1. Que le mineur soit doté de la capacité de discernement
- 2. Qu’il formule la demande de manière volontaire et répétée
- 3. Que sa souffrance physique soit constante et insupportable
- 4. Que sa mort soir inéluctable à brève échéance
- 5. Que ses parents donnent leur accord par écrit.
On voit que toute l’architecture du dispositif tourne autour de la capacité de discernement du mineur. Or qui établit cette capacité de discernement ? Le texte est clair à ce sujet : c’est un pédopsychiatre ou un psychologue appelé en consultation par le médecin traitant. Tout repose donc sur le jugement d’une seule personne. Quand on sait à quel point les avis des psychiatres peuvent diverger radicalement, par exemple, sur la responsabilité d’auteurs de faits criminels, on a tout de même le droit d’être circonspect sur le pouvoir octroyé à une seule personne aussi qualifiée soit-elle.
Ce n’est qu’une première interrogation. Ce n’est pas le cœur de mon argumentation.
À partir de quel âge, la capacité de discernement est-elle présumée pouvoir exister chez un mineur? D’après un spécialiste entendu par la commission, un enfant « de quatre à cinq ans est capable de comprendre beaucoup de choses, c’est vrai, mais jusqu’à l’âge de sept huit ans, les enfants ne comprennent pas le caractère définitif de la mort ». On serait donc en droit, si l’on suit cet avis, de penser que la capacité de discernement peut exister au plus tôt à partir de la neuvième année. Mais les choses ne sont pas aussi simples car voici qu’apparaît un nouvel argument, développé par plusieurs orateurs. Nous découvrons, je cite, que « les enfants malades font preuve d’une très grande maturité ».
Il en résulte que « l’âge mental est plus important que l’âge calendrier ». Un tel argument me laisse circonspect. Si je n’accepte pas, je l’ai dit, la thèse confessionnelle de la valeur rédemptrice de la souffrance, j’ai des difficultés à accepter la thèse selon laquelle un surcroît de discernement face à la mort découlerait de cette souffrance et ce, d’autant plus que, comme certaines interventions l’indiquent, la capacité de discernement consisterait en la capacité de comprendre le caractère définitif de la mort. Cela me pose question, parce que savoir théoriquement, in abstracto, que la mort est la fin définitive de la vie – on peut le comprendre, pour avoir vu mourir des gens –, n’entraîne pas ipso facto que j’aie – moi, l’enfant – une conscience claire que ma mort est la fin définitive de ma vie.
Qui d’entre nous sait exactement quelle représentation un enfant de sept, huit ou neuf ans se fait de la mort, en particulier de la sienne ? C’est d’autant plus compliqué qu’un humain n’est pas seulement un être de raison, mais aussi un être de chair et de sang qui se construit dans sa relation avec les autres et, pour un enfant en particulier, dans la relation avec ses parents. D’où cette question : qui pourra faire la part, chez un enfant de sept, huit ou neuf ans, entre la capacité de discernement pur de la réalité de la mort et l’offrande ou le cadeau qu’il fait à ses parents pour mettre fin à la douleur qu’il discerne, qu’il voit, qu’il expérimente sur leurs visages, dans leurs attitudes et dans leurs mots ? Qui peut savoir au bénéfice de qui va jouer sa capacité de discernement ? Certains ont dit qu’il était important de donner à chacun le droit d’être le décideur de sa vie. Mais je ne parviens pas à croire que l’on donne à un enfant de neuf ans, alors qu’il est déjà condamné à mort par une pathologie ou par un accident, un vrai pouvoir de décision sur sa vie.
Autre question, quels sont les effets de la capacité de discernement ? Le texte de la proposition de loi est clair : pour que le passage à l’acte puisse avoir lieu, il faut nécessairement, dans tous les cas visés par la proposition de loi, l’accord écrit des parents. Mais est-il bien cohérent de mettre exactement sur le même pied, du point de vue de la responsabilité parentale, un enfant de sept ans, huit ans ou neuf ans qui pourrait demain avoir la capacité de discernement nécessaire, et un adolescent de dix-sept ans, par exemple ? Aux termes de nos lois, à dix-huit ans, un jeune peut devenir député ou sénateur ; il peut représenter la Nation, voter des lois, donner la confiance au gouvernement, bref, participer à la direction du pays, d’une de ses régions ou de ses communautés. Et ce même jeune qui serait frappé, à dix-sept ans, peu avant les élections, par une pathologie ou par un accident, devrait demander et obtenir l’accord de ses parents pour mourir – aux dires des auteurs de la proposition – dans la dignité !
Est-il cohérent de mettre dans une même catégorie un enfant de sept ou huit ans et un jeune qui pourrait être émancipé ? Je ne le crois pas.
Reste une dernière question: qu’en est-il de ceux qui n’ont pas la capacité de discernement ? L’essence de la proposition de loi repose en effet sur « une capacité de discernement attestée », par écrit de surcroît. Mais qu’en est-il des autres, de ceux à qui on ne reconnaît pas cette capacité ? C’est l’état de nécessité, cela veut dire que, pour une même pathologie, on établit une distinction entre ceux qui ont la capacité, d’une part, et ceux qui ne l’ont pas ou qui ne peuvent pas bien s’exprimer, d’autre part.
Face à la mort, il y aura, d’un côté, ceux que j’appellerai les capacitaires et, de l’autre, les nécessiteux. J’ai énormément de difficultés à accepter cette distinction.
En conclusion, j’ai des objections fondamentales contre le dispositif précis établi par la loi qui nous était soumise. C’est la raison pour laquelle je ne me suis pas prononcé en faveur de cette loi.
Gérard DEPREZ
Janvier 2014
Le mot de Gérard Deprez
Panne technique, désert industriel [06 mai 2013]
Le Parlement des Animateurs du MCC a organisé en mars à Tournai une passionnante matinée de réflexion sur l’avenir de l’enseignement technique et professionnel. Les orateurs étaient de haut niveau, l’assistance particulièrement attentive, les débats stimulants.
Voyons d’abord les constats.
1. Trop d’élèves quittent l’enseignement avec un niveau de formation insuffisant : 15 % des jeunes Wallons n’ont pas terminé leurs études !
2. Au niveau secondaire, le nombre d’élèves qui s’orientent vers les filières techniques et professionnelles est en diminution constante. Conséquence logique : de nombreux postes de techniciens et d’ouvriers qualifiés (soudeurs, électriciens, …) restants vacants.
3. Au niveau supérieur, les étudiant(e)s s’orientent très majoritairement vers les sciences humaines, sociales et de la santé. Pour l’année 2008-2009, les étudiants en sciences ne représentaient pas 20% du total.
4. Déjà aujourd’hui, notre pays manque cruellement d’ingénieurs civils : on estime à 5000 les postes d’ingénieurs vacants dans les entreprises. Le nombre de diplômés diminue d’année en année.
5. Tant au niveau secondaire qu’au niveau supérieur, les jeunes filles sont quasiment absentes des filières scientifiques et techniques (à l’exception notable des disciplines liées à la santé).
Et, pendant ce temps …. que font les politiques responsables de l’enseignement ? Si vous faites avec moi un effort de mémoire, vous vous souviendrez certainement de trois « faits » marquants. Celui du débat lancé par le ministre Nollet sur la suppression des devoirs à la maison ; celui toujours actuel du décret / inscriptions dont les effets positifs sont inversement proportionnels aux ennuis provoqués ; celui, plus récent, du projet de décret du Ministre Marcourt sur l’organisation de l’enseignement supérieur, mélange sournois de confinement provincial et de mise sous tutelle de l’enseignement supérieur libre. Triste performance, vous en conviendrez.
Alors que faire ?
1. Il faut sensibiliser la population à l’existence des métiers « en pénurie », dont la plupart requièrent des qualifications d’ordre technique ou professionnel.
2. Il faut remettre à plat certains décrets dont les dispositifs ont pour effet de décourager les parents d’orienter leurs enfants vers les filières scientifiques, techniques et professionnelles.
3. Il faut mener campagne auprès des jeunes filles pour les convaincre qu’elles peuvent exceller dans certains métiers (génie civil, informatique, télécom, …)
4. Les établissements spécialisés dans les filières techniques doivent améliorer leur image, mieux encadrer les élèves et faire connaître leurs succès dans l’accès à l’emploi pour leurs diplômés.
On dit partout que notre pays et, plus généralement, toute l’Europe, a besoin de se réindustrialiser. Comment pourra-t-elle le faire si elle manque d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers qualifiés ?
Gérard DEPREZ
Sénateur
Président du MCC
Ministre d’Etat
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