Textes des articles et conférences

le Préambule du Traité de Rome et l'état d'esprit des Pères fondateurs de l'Europe (Union des Avocats Européens, Rome)")
Les Européens en 2030 : vieux et pauvres ? (Cercle de Wallonie, Namur)
La création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice (PE, Bruxelles)
La directive Bolkestein (Centre Jean Gol, Bruxelles)
Les grands défis européens (CCIB, Bruxelles)
Turquie, l'Europe n'est pas prête(UCL, Chaire Glaverbel, Louvain-la-Neuve)
Comment dépanner la CIG ?
Le défi démographique européen
Une référence chrétienne dans le texte de la future Constitution?
Convention pour une nouvelle Europe (Paris, UDF)
La convention Europol (Université Robert Schuman, Strasbourg)
   
Articles écrits en collaboration avec Monsieur Rossetti di Valdalbero :
   
L'énergie, thème prioritaire pour l'Europe
Les enjeux de la "construction" européenne
L'Europe, ses craintes et ses audaces
Europe : à vocation fédérale
Le patriotisme, ferment de l'Europe
L'Union, légitime espace politique des Européens
Europe et Turquie: un mariage difficile
   


le Préambule du Traité de Rome et l'état d'esprit des Pères fondateurs de l'Europe (Union des Avocats Européens, Rome

Intervention de Gérard Deprez à l'occasion de la célébration du Cinquantième anniversaire
du Traité de Rome Union des Avocats Européens
Rome, 23 mars 2007

"Déterminés à établir les fondements d'une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens." Alinéa 1. Préambule du Traité de Rome.

Phase magique. C'est celle qui dit tout, qui annonce tout, c'est l' a & l' ?, comme dirait Theilhard de Chardin.

Déterminés: c'est l'affirmation d'un acte de la volonté, et non de la fatalité.
Ils ne sont pas poussés, ils ne sont pas conduits, ils ne sont pas désireux, ils sont déterminés.
Politiquement, c'est un engagement fort.
Analytiquement, c'est une annonce.
L'aventure dans laquelle ils s'engagent et dans laquelle ils engagent leurs peuples n'est pas un donné de l'histoire.
Ce sera, dès le départ, et cela restera toujours un acte volontaire qui sait d'avance, qui annonce qu'il se heurtera à beaucoup de réticences, à beaucoup de résistance, voire même à des oppositions, sinon à des hostilités. Il est remarquable - et ce mot est aujourd'hui plus que jamais d'actualité - que le traité de Rome débute par ce mot puissant et radical: la détermination, c'est-à-dire l'affirmation d'une volonté qui ne se laissera ni détourner, ni arrêter.

Etablir les fondements:
Après la posture, la méthode. Les rédacteurs sont conscients, dès l'origine, que ce qu'ils visent à instaurer et qui sera précisé juste après, n'est pas à portée de leur détermination, si grande soit elle. Ce qu'ils visent ne se réalisera qu'au travers d'une alchimie dont ils ne sont pas, dont ils ne seront pas les acteurs décisifs.

En étant déterminés à établir les fondements, ils précisent la nature de leur responsabilité dans l'entreprise qu'ils initient, en même temps qu'ils définissent, dans un raccourci saisissant, la nature même de l'acte politique démocratique. Ils ne sont pas les démiurges d'une nouvelle identité, ni les architectes d'un homme nouveau, mais les artisans du fondement.
Ils ont l'ambition d'établir le socle sur lequel pourra se construire, non par eux mais par ceux aux noms desquels ils parlent, ce qui est le but de leur entreprise mais dont l'avènement leur échappe parce qu'il implique une durée et qu'il est d'une nature qui est hors de leur portée.

Une union sans cesse plus étroite.
Après la posture, après la méthode, voici la finalité. Le mot employé ici revêt une signification particulière. Il s'agit très précisément du mot qui qualifie le lien le plus positif et le plus intense qui puisse exister: l'union. Il ne s'agit pas simplement d'une harmonisation de droits, de convergence des intérêts, d'amélioration des conditions de vie, il est question en réalité de quelque chose de beaucoup plus immatériel, pour ne pas dire spirituel: l'objectif est d'aboutir à créer entre ceux qui sont les sujets historiques, le lien le plus positif et le plus fort qui soit.

Et nous voilà au mot de la fin.
Quels sont les bénéficiaires de l'entreprise? Ou plus exactement quels sont les acteurs décisifs par lesquels pourra advenir ce qui est le but ultime?
Les mots employés ont ici aussi une signification très précise et, pour dire le fond de ma pensée, une portée magnifique.
Il ne s'agit pas des Etats, remarquons-le bien. Les Etats signataires ne sont, à la vérité, que les initiateurs de la démarche, les artisans de la construction des fondements. Mais ce qu'ils mettent en mouvement, c'est leur propre dépassement. Le lien positif et intense qu'il s'agit de faire advenir, ce n'est pas entre eux qu'il est question de l'établir. Ils ne sont donc plus, dans l'ordre des finalités, ni les acteurs, ni les bénéficiaires du lien. En d'autres mots, ce n'est pas une Union d'Etats qui est le but de l'entreprise, mais une réalité nouvelle qui est au-delà de ce qu'ils sont.
Ce n'est pas non plus une union de simples citoyens, monades abstraites coupées de la réalité historique qui les a singularisés.
En utilisant le concept de "peuples", les rédacteurs du Traité affirment, dans une même envolée, deux principes fondateurs.
Premier principe: la reconnaissance de la diversité. Les habitants de l'espace européen, s'ils sont égaux, ne sont pas identiques mais différenciés: ils ont entre eux des liens privilégiés, préexistants qui viennent de leur histoire, de leur langue, de leur culture, de leur mode de vie et qui les constituent en tant que peuples singuliers. Cette diversité des peuples, les rédacteurs, non seulement ne la nient pas, mais ils la reconnaissent et ils la consacrent.
Ils la consacrent d'ailleurs - c'est le second principe - de la manière la plus explicite en faisant des peuples européens à la fois les acteurs et les destinataires ultimes de l'entreprise voulue par le Traité!
Sur base des fondements établis par les Etats Membres fondateurs, c'est en effet aux peuples européens qu'il revient, dans le respect de leur singularité, de tisser les liens qui les conduiront à une union de plus en plus étroite.
Jusqu'où ira cette union? La phrase ne le dit pas explicitement, mais elle le fait deviner en creux. L'Union sera la matérialisation du lien construit entre les peuples par les peuples, au-delà des Etats membres fondateurs.

Si cela n'est pas une ambition politique fédérale, je ne sais comment on pourrait qualifier le projet.

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 Les Européens en 2030 : vieux et pauvres ? (Cercle de Wallonie, Namur)

Conférence sur le thème du vieillissement démographique en Europe au "Cercle de Wallonie" (Namur)

Deux fois par mois, le Cercle de Wallonie accueille une personnalité (monde financier, économique, culturel, politique,...) lors d'un déjeuner suivi d'un exposé et d'une séance de questions-réponses.

Le 31 mai 2006, c'était au tour de Gérard Deprez.

Derrière un titre volontairement provocateur : "les Européens en 2030 : vieux et pauvres", il a pu aborder quelques-uns des grandes questions qui le préoccupent pour sauvegarder le potentiel d'avenir de l'Europe et des Européens.

Gérard Deprez est devenu démographe ? Non... Quoi qu'il en soit, accrochez-vous : derrière de nombreux chiffres et tableaux, dont certains donnent le tournis, se dessine le scénario quelque peu inquiétant des perspectives démographiques en Europe et dans le monde à plus ou moins brève échéance. Il y est bien évidemment également question des conséquences de ces évolutions sur les choix politiques à faire dans les années à venir.

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 La création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice (PE, Bruxelles)

I La création d'un véritable espace de Liberté, Sécurité et Justice est aujourd'hui une priorité, non seulement du Parlement européen mais de l'ensemble des Institutions européennes.

Cette priorité se manifeste concrètement au travers de plusieurs indicateurs.

1) Une augmentation importante de l'activité dans ce secteur:

  • nombre de propositions
    • dossiers actuellement en cours:
      31 consultations
      16 codécisions
    • en 1999:
      pas de codécision
      25 dossiers en moyenne

  • voir aussi l'importance de l'activité de traduction: selon les chiffres récents 30 % de l'activité traduction du Conseil concernent ce domaine.

2) Une augmentation importante des moyens budgétaires prévus au bénéfice des politiques menées dans ce secteur.

- Aujourd'hui, Titre 18 du budget général - de 600 millions €/an.

- Demain, selon les propositions de la Commission pour les perspectives financières 2007/2013, les crédits affectés à l'espace LIBE avoisineraient annuellement le milliard €.

- Le Parlement européen, dans le rapport Bögue a jugé cette augmentation insuffisante et a ajouté 1 milliard € supplémentaire pour la période.

3) Une augmentation significative du contrôle démocratique sur les politiques du secteur.

En effet, à la fin de l'année 2004, le Conseil a fait usage de la possibilité prévue à l'article 67 du Traité CE (Traité instituant la Communauté européenne), ce qui a pour effet que l'essentiel des dispositions relatives aux visas, à l'asile, à l'immigration et aux politiques liées à la libre circulation des personnes relèvent dorénavant de la codécision PE/Conseil.

Restent soumis à la simple consultation l'immigration légale, certains aspects de la politique des visas et ce qui relève du 3ème pilier. Le 3ème pilier concerne, vous le savez, les dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

4) Indicateur

L'investissement administratif dans le secteur Liberté, Sécurité, Justice (DG JLS):

  • 1999: 82 fonctionnaires
  • 2005: 286 fonctionnaires
    + 24 agents temporaires
    + 22 postes à pourvoir

soit un effectif multiplié par 4 en 5 ans

5) Renforcement de la cohérence et de l'efficacité des programmes

Dans le cadre de son document sur les perspectives financières 2007/2013, la Commission a proposé de regrouper les instruments d'action et les lignes budgétaires dans une rubrique spécifique du budget (Citoyenneté, Liberté, Sécurité Justice) centrée sur 3 programmes/cadre:

1) Liberté de Mouvement et solidarité en matière de frontières extérieures, d'asile et d'immigration,
2) Programme Sécurité,
3) Programme Justice et Droits fondamentaux.


POSITION DU PARLEMENT EUROPEEN

1) Nous nous réjouissons de l'importance croissante du secteur Liberté/Sécurité Justice et du renforcement des pouvoirs du Parlement européen dans ce secteur et nous nous réjouissons que la codécision fonctionne.
cf. rapport Cashman sur le code européen de franchissement des frontières

2) Toutefois, nous estimons que la situation actuelle reste démocratiquement insatisfaisante sinon inacceptable et nous réclamons (voir en particulier le rapport Bourlanges):

1) l'utilisation de l'article 67 TEC en vue d'étendre la codécision à l'ensemble du secteur immigration, y compris immigration légale.

2) nous réclamons l'utilisation de l'article 42 du Traité de l'UE qui ouvre depuis 1993 la possibilité de soumettre au régime communautaire tout ou partie des politiques du 3ème pilier, ce qui impliquerait à la fois

  • l'extension de la codécision législative,
  • et la reconnaissance de la compétence de la Cour de Justice européenne sur les matières transférées.

3) nous réclamons aussi le pouvoir d'avis conforme pour l'approbation des accords internationaux en matière de coopération judiciaire pénale et policière (aujourd'hui, nous sommes seulement appelés à donner un avis.

exemple: rapports KIRKHOPE

  • 4 accords CE/Suisse
  • 1 seul par avis conforme)

4) nous réclamons également la transparence des débats au Conseil lorsque celui-ci fonctionne comme législateur ou co-législateur.

5) nous réclamons encore la transformation d'EUROPOL en organe communautaire de manière à permettre l'exercice d'un véritable contrôle démocratique.

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 La directive Bolkestein (Centre Jean Gol, Bruxelles)

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 Les grands défis européens (CCIB, Bruxelles)

1. Recréer la confiance


1.1. Chez les citoyens d'abord

Comme le montrent les referenda, l'Europe est plus perçue comme une menace que comme une chance.
L'Europe ne fait plus rêver dit J.C. Juncker.

D'où cela vient-il?

Beaucoup de raisons:

1) L'attitude des leaders politiques nationaux
- L'Europe BOUC EMISSAIRE
- L'Europe POTION MAGIQUE

2) L'élargissement sans fin, à rythme accéléré.
- 10 aujourd'hui, 12 demain, puis la Turquie - jusqu'où

3) L'hétérogénéité intérieure
- D'où délocalisation.

4) L'Europe PASSOIRE
- Immigration non contrôlée.
- Textile chinois.

1.2. Entre les Etats

- Les pingres et les nécessiteux.
- Les anciens et les nouveaux.

2. Recréer de la croissance

2.1. Les faits

C'est un fait que depuis 1999 - et à l'exception de l'année 2001 - la croissance aux U.S.A. a été systématiquement supérieure à la croissance de la zone €.

D'après les prévisions, cela restera encore le cas dans les prochaines années.

C'est un fait aussi
- que la croissance économique est en moyenne supérieure, parmi les 15, dans les pays qui ne sont pas dans la zone € (Grande-Bretagne, Danemark, Suède).

- que la croissance économique dans 10 nouveaux pays est en moyenne le double de celle des quinze:

  10 15
2004 5 % 2 %
2005 4,6 % 1,9 %
2006 4,8 % 2,2 %

- que la croissance économique des pays baltes atteint des niveaux "à la chinoise".
Ainsi en 2004

Lettonie: + 8,5 %
Lituanie: + 6,7 %
Estonie: + 6,2 %

- qu'à l'intérieur de la zone €, les plus mauvais élèves sont actuellement l'Allemagne, la France, l'Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Portugal.

2.2 Deux conclusions provisoires

- Si l'on excepte la zone €, la croissance économique est bonne dans l'Europe des 25.

- Jusqu'à présent, la création de l'€ n'a pas apporté, dans la zone, le surplus de croissance et n'a pas permis de combler le retard de croissance par rapport aux U.S.A.

2.3 Les défis pour la zone €

Je ne vais pas paraphraser les discours officiels - et pertinents - sur la nécessité de mettre en oeuvre la stratégie de Lisbonne, mais mettre l'accent sur quelques éléments spécifiques.

1. Nécessité d'une vraie gouvernance économique de la zone €.
La question qui est posée, au vu des performances actuelles, est la suivante: peut-on avoir une seule politique monétaire - et un seul taux d'intérêt - dans une zone où les contraintes fiscales et les conditions du marché du travail sont très différentes, d'un pays à l'autre?

Personnellement, je ne le crois pas. [Comme le dit Irwin M. Stelzer, Directeur au Hudson Institute]. Tant que ces deux grands problèmes, celui de la fiscalité et celui de la flexibilité et de l'ouverture du marché du travail n'auront pas été résolus, nous risquons de garder une croissance faible, un niveau de chômage élevé et de difficiles problèmes budgétaires.

2. Nécessité de redéfinir les missions de la B.C.E.
Qu'on me comprenne bien. Je ne propose pas, que du contraire, de remettre en cause l'indépendance de la B.C.E. Je pense simplement qu'avoir donné à la B.C.E. la seule mission de limiter l'inflation est un corset trop restrictif.
La B.C.E. devrait avoir aussi comme mission, à l'instar de la Réserve fédérale américaine, de soutenir la croissance dans la zone €. Cela n'est pas incompatible d'ailleurs avec l'obligation, comme c'est le cas pour le Président de la Réserve fédérale américaine, de venir s'expliquer, tous les six mois, devant le P.E.

3. Nécessité de libéraliser le secteur des services.

- N'attendez pas de moi ici que j'entre dans tous les détails de la fameuse directive Bolkestein: le débat est en cours et nul ne peut prévoir aujourd'hui ce qu'elle deviendra au terme du processus de co-décision.

- Je veux simplement souligner la nécessité de créer un espace européen de services d'où sont bannies les discriminations et les entraves basées sur la nationalité à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services.

- Contrairement à ce que beaucoup pensent, les pays de la zone € ont beaucoup plus d'avantages à espérer de la suppression des entraves à la liberté d'établissement qu'ils n'ont à craindre l'invasion des plombiers polonais.

4. Nécessité de travailler plus.

4.1 Au niveau mondial

4.2 U.S.A.

J'ai lu récemment un article qui prétendait démontrer qu'en tenant compte:
- de la durée hebdomadaire du travail,
- du nombre annuel de jours de congé,
- de la durée effective de la carrière,
un américain travaille en moyenne sur une vie aux moins 4 ans de plus qu'un européen (des 15).
[A quoi il convient d'ajouter que depuis quelques années déjà, la productivité aux U.S.A. a dépassée la productivité européenne].

4.3 Vieille Europe / Nouvelle Europe

En 2004, les salariés des dix nouveaux Etats Membres de l'U.E. ont travaillé en moyenne 122 heures - soit plus de trois semaines - de plus par an que ceux de l'Union à quinze (chiffres publiés par l'Observatoire des relations industrielles de la Fondation de Dublin).

 

 

 

 
 Turquie: l'Europe n'est pas prête(UCL, Chaire Glaverbel, Louvain-la-Neuve)

A la fin de cette année, les Chefs d’Etat et de Gouvernement doivent décider d’ouvrir ou non les négociations avec la Turquie en vue de son adhésion à l’Union européenne. Cette décision – qu’ils se sont engagés à prendre suite, essentiellement, aux pressions de la Turquie et des Etats-Unis – est censée mettre fin à une situation pour le moins singulière : depuis le sommet d’Helsinki, la Turquie bénéficie officiellement du statut de pays candidat alors même que, jusqu’à présent, toutes les institutions européennes ont expressément répété qu’elle n’était pas en état de remplir les conditions politiques préalables à l’ouverture de négociations d’adhésion.


Cette singularité est en soi l’indication de ce que la question turque - que le jargon communautaire entend traiter exactement de la même manière que les autres demandes d’adhésion - constitue en réalité un cas très particulier qui mérite un traitement spécifique.


Du point de vue des officiels du politiquement correct, la seule question qui se pose, d’ici à la fin de l’année, est de savoir si la Turquie a fait suffisamment de progrès sur le plan démocratique pour « mériter » l’ouverture officielle de négociations d’adhésion. Cette question est certes essentielle, mais elle est loin d’être suffisante. S’agissant d’adhésion à un groupe, il est évidemment nécessaire de vérifier si le postulant remplit les conditions préalables à son adhésion. Mais il faut aussi – sinon d’abord – vérifier si le groupe d’accueil est en mesure d’intégrer le nouveau membre, sans dénaturer son objet social ou sa finalité et sans créer, en son sein, des problèmes susceptibles d’empêcher son fonctionnement.


En d’autres termes, il est urgent de débattre de la question suivante : l’Union européenne est-elle aujourd’hui en état d’assumer le démarrage de processus d’adhésion de la Turquie ?


Cette question simple mais fondamentale doit être posée maintenant tant il est évident qu’une fois le processus enclenché, il ne sera plus possible de l’arrêter sous peine de provoquer de très fâcheuses conséquences.


A mes yeux, la réponse est claire : l’Union européenne n’est pas en état d’assumer la mise en œuvre du processus d’adhésion de la Turquie.


En premier lieu, les citoyens européens n’y sont pas prêts. C’est un fait indéniable que le statut de candidat a été octroyé à la Turquie quasiment en catimini, au sommet d’Helsinki, sans aucun débat démocratique préalable à quelque niveau que ce soit. Ce n’est que très récemment, et singulièrement dans deux pays qui sont considérés comme l’axe moteur de la construction européenne (l’Allemagne et la France), que le débat public s’est engagé à l’approche des élections européennes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le débat ne tourne pas, dans ces deux pays, à l’avantage des promoteurs de l’adhésion : d’après les prises de position des grands partis démocratique et les résultats répétés des sondages d’opinion, il n’y a pas, ni en France, ni en Allemagne, de majorité parmi les citoyens pour approuver la perspective de l’adhésion de la turquie. Ce serait, à tout le moins une innovation risquée pour l’avenir de la construction européenne qu’une décision importante et grave soit prise contre l’avis de la majorité de la population de l’axe franco-allemand.


Ce serait plus dommageable encore s’il était établi qu’une majorité de la population des 25 Etats membres est opposée à l’adhésion de la Turquie. Faute de données fiables, le fait, pour plausible qu’il soit, ne peut cependant être considéré comme acquis.


Il y a pire encore, du pont de vue du respect des principes de base de la démocratie. C’est très exactement au moment où les citoyens européens commencent à prendre conscience de l’enjeu et à vouloir en débattre que les officiels du système redoublent d’efforts pour forcer la décision. A leurs yeux, il n’y a plus de choix : cela fait quarante ans que la Turquie « frappe » à la porte, « on » lui a promis qu’elle adhérerait un jour, c’est le moment de le faire. Etrange conception de la démocratie que celle où ceux qui ont pris des engagements sans en référer aux peuples, leur expliquent qu’il faut respecter ces engagements, pour la raison qu’ils auraient été pris en leur nom. Dans un système européen que le support populaire déserte de manière inquiétante, voici donc une contribution significative – sinon décisive – à l’aggravation du mal.


Si les citoyens européens ne sont pas prêts, les institutions européennes ne le sont pas davantage. La décision, on le sait, doit être prise avant la fin de cette année. A-t-« on » bien mesuré – j’emploie à dessein ce « on » pour désigner l’ensemble des officiels du politiquement correct – qu’à ce moment , nul ne sera en mesure de savoir si le projet de Constitution européenne, actuellement en discussion, verra ou non le jour. Soit, il n’y aura pas eu d’accord sur le projet et le rêve de Constitution aura vécu ; soit , en cas d’accord, faudra-t-il attendre le résultat de la ratification dans le dernier des 25 Etats membres qui devront se prononcer.


Il est stupéfiant de constater que nos Chefs d’Etat et de Gouvernement se sentent prêts à lancer le démarrage de l’élargissement le plus contesté de l’Union alors même qu’ils ne savent pas si les institutions seront capables de gérer le précédent. Pratiquement tous, en effet, s’accordent aujourd’hui pour reconnaître que les dispositions du (calamiteux chiraquien) Traité de Nice qui seraient d’application en cas d’échec du projet constitutionnel, ne permettent de garantir ni la capacité de décision de l’Union élargie, ni la mise en oeuvre de nouvelles politiques communes, ni l’action commune sur la scène internationale.


Ainsi n’est-il pas surprenant, dans ce contexte, de constater l’extrême cohérence dont font preuve les plus acharnés des eurosceptiques : ils sont à la fois des partisans inconditionnels de l’adhésion de la Turquie et des adversaires irréductibles de la Constitution européenne. Faut-il prendre le risque de leur donner raison ?


Les Citoyens ne sont pas prêts. Les institutions ne le sont pas davantage. Les ressources financières de l’Union sont-elles, quant à elles, en état d’absorber le choc de la perspective de l’adhésion de la Turquie ? Je ne le crois pas.


Parmi les questions difficiles qu’il faudra trancher après les élections européennes, il y a incontestablement le budget futur de l’Union. Ce n’est un secret pour personne que le situation budgétaire de plusieurs Etats membres est actuellement fort préoccupante : l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, le Portugal, la Grèce, l’Italie, sont dans le rouge ; leur disponibilité à cotiser davantage à la caisse européenne est loin d’être évidente. Parallèlement, six des pays contributeurs nets au budget européen - ceux qui paient plus qu’ils ne reçoivent, au premier rang desquels figure l’Allemagne – ont fait connaître publiquement leur volonté de limiter le budget européen à 1% du P.I.B. de l’Union. Ce qui revient à dire qu’ils veulent financer l’Europe à 25 avec le même budget que l’Europe à 15.


Comment le système européen pourra-t-il , très bientôt, concilier l’attitude restrictive des « paumés » budgétaires et du club des « pingres » avec les attentes légitimes des 10 nouveaux Etats membres dont les besoins sont connus et les exigences prévisibles ? Cette équation qui, en soi n’est pas simple, risque d’être singulièrement compliquée par la perspective de l’adhésion de la Turquie. Les experts de 10 nouveaux pays savent en effet parfaitement que le plateau anatolien qui couvre la quasi-totalité du territoire turc exigera un effort financier à eu près comparable à celui de l’élargissement actuel, compte tenu de son faible niveau de développement économique, de l’importance de sa population agricole (45%), de son retard en matière d’infrastructure. L’idée de devoir, dans un avenir proche, contribuer budgétairement à la prise en charge de cet immense plateau ne peut que conduire les 10 nouveaux pays à maximiser leurs demandes immédiates de peur d’être victimes, à brève échéance, d’un déplacement des priorités et des moyens. Dans un tel contexte, les négociations budgétaires déjà objectivement compliquées risquent de devenir sordides sinon franchement destructrices pour la cohésion européenne. D’autant que, d’ici à l’adhésion de la Turquie, d’autres pays candidats (à commencer par la Roumanie et la Bulgarie) viendront frapper à la porte de la caisse européenne.


De tout ce qui précède, je conclus qu’il serait dangereux pour l’Union Européenne de laisser le chefs d’Etat et de Gouvernement décider à la fin de cette année d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Turquie. Non seulement parce que la Turquie n’est pas prête, ce qui est évident à mes yeux mais ne fait pas l’objet de cet article ; mais d’abord et surtout, parce que l’Union européenne n’est pas en état de le faire, ni démocratiquement, ni institutionnellement, ni financièrement.

Gérard Deprez, Ministre d’Etat et Député européen

 Comment dépanner la CIG?

I. Le contexte

1.1 Côté positif

L’existence et le contenu du projet de constitution qui est actuellement la base des travaux de la C.I.G. est en soi un petit miracle.

Qui aurait imaginé, après le lamentable sommet de Nice que moins de trois années plus tard, le traitement du résidu de Nice allait engendrer une dynamique produisant et la Convention et le projet de constitution, et cela en pleine phase d’élargissement de l’Union !

1.2 Côté négatif

Cela dit, l’échec de Bruxelles en décembre s’est produit à un moment particulièrement délicat : l’année 2004 sera une année cruciale pour l’avenir de l’Europe puisque l’Union devra faire face, au moins, à 7 problèmes sensibles, sinon stratégiques.

Les élections européennes auront lieu pour la première fois dans 25 pays. La composition de la nouvelle Commission, et en particulier le choix de son président, en tenant compte du résultat des élections européennes, pourrait donner lieu à quelques difficultés.

Le rodage (espérons que cela ne sera pas du cafouillage) des institutions, dans leur nouvelle composition, pourrait s’avérer plus laborieux que prévu, ne fût-ce que sur le plan linguistique.

L’élaboration des perspectives financières 2007/2013, entre le seuil de 1% du P.I.B. fixé par les restrictifs et le niveau de 1,27 voulu par les gourmands (ou les réalistes), donnera lieu, à coup sûr, à de longues discussions, sinon même à de féroces marchandages.

La décision relative à l’ouverture ou non des négociations avec la Turquie sera, en tout état de cause, un enjeu disputé, aux conséquences largement imprévisibles.

Les négociations de la C.I.G. relatives au projet de Constitution.

La révision du Pacte de Stabilité qui est, d’ores et déjà, à l’ordre du jour des travaux de l’Union.

C’est un agenda extrêmement lourd, extrêmement sensible, susceptible d’entraîner de multiples interférences et des blocages croisés.

Une crise majeure est possible en 2004.

Pour éviter ce risque, ma conviction est que tout doit être mis en œuvre pour que le projet de Constitution puisse être adopté avant les élections européennes, et idéalement avant le 1er mai (jour de l’élargissement).

II Est-ce possible ?

Je n’en sais rien, même si je m’acharne à le vouloir. Je vois en tout cas quelques conditions préalables, dont certaines sont déjà remplies, et qui seront nécessaires à n’importe quel moment et d’autres qui doivent encore être remplies.

2.1. Conditions remplies

2.1.1. Changement de présidence du Conseil

Il est clair, à mes yeux que la présidence italienne, dans le chef en tout cas de Berlusconi, n’a pas été à la hauteur :

manque de crédit de Berlusconi lui-même auprès de ses pairs

dilettantisme : absence de méthode

2.1.2. Le nouvelle présidence donne l’impression d’avoir opté pour la bonne méthode :

modestie

rigueur

discrétion

2.1.3. La prise de conscience assez générale des risques de l’échec, de la part de tous les acteurs significatifs.

2.2. Conditions à remplir

2.2.1. L’assainissement du couple franco-allemand

C’est un fait, à mes yeux, que le couple franco-allemand s’est comporté ces dernières années de manière à la fois insupportable, incohérente et inefficace.

Les deux, chacun dans leur genre, ont commencé par sacraliser les résultats de Nice, avant d’en devenir les plus grands pourfendeurs.

Les deux, (surtout Chirac) ont cadenassé à Berlin les montants budgétaires disponibles pour les grandes catégories de dépenses jusqu’en 2006 (avantage à Schroëder !) en sanctuarisant les dépenses agricoles (avantage à Chirac !).

Les deux se sont comportés comme des « manches » dans l’affaire irakienne, à l’égard de leurs partenaires européens en donnant aux autres l’impression qu’ils n’avaient qu’à suivre (le couple décide, seul, les autres suivent). Chirac a ajouté, en sus, la couche d’odieux inacceptable, en particulier à l’égard de la Pologne.

Les deux se sont exonérés des contraintes du pacte de stabilité – ce qui est quand même un comble pour Schroëder, qui dirige le pays qui a imposé (à l’époque de Waigel) le pacte aux autres pays candidats à l’EURO.

Les deux, par la multiplication des contacts informels avec l’un ou l’autre grand pays, détricotent à qui mieux mieux, la légitimité des institutions et détruisent la confiance entre les grands et les petits pays.

La liste, qui n’est pas exhaustive, est assez longue pour indiquer que ce n’est pas autour de l’arrogance – et de l’incohérence – du couple franco-allemand qu’il faut chercher la solution.

Bref, la Belgique doit prendre un peu de champ par rapport à ce couple déboussolé. L’idéal, pour relancer une vision commune, est de travailler avec l’ensemble des pays fondateurs, comme l’a suggéré récemment Valéry Giscard d’Estaing.

2.2.2. Parallèlement, il faut retrouver de la compréhension pour les deux pays les plus réfractaires : la Pologne et l’Espagne.

Leur problème n’est pas seulement, et peut-être pas d’abord, un problème d’égoïsme, mais un problème de rang, ou de statut si l’on préfère.


Ce sont deux pays qui veulent garder le rang (celui de grand pays) que Nice leur avait donné et dont ils pensent qu’on veut dorénavant les priver.

Je suis, à cet égard, de l’avis de Helmut KOHL qui vient, au cours d’une interview dans le Frankfurter Allgemeine, de recommander de ne pas sacraliser la formule de la majorité des Etats membres et des 60 % de la population pour définir la majorité qualifiée au sein du Conseil.

« Nous devons, dit-il, abandonner l’idée selon laquelle le nombre de voix doit refléter exactement la taille (la population) du pays ». Et il ajoute que « la taille d’un pays n’est pas seulement déterminée par la démographie, mais aussi par son industrie, sa culture et son rayonnement ». J’ajouterais, pour ma part, la position géopolitique et l’histoire.


Car c’est précisément ce qui est en jeu dans le cas de la Pologne et de l’Espagne.

Comment peut-on imaginer que la Pologne, voisine de l’Allemagne, et dont l’inconscient collectif reste profondément traumatisé par la brutalité conjointe du Reich et des soviets, puisse accepter facilement de se voir imposer des décisions qu’elle jugerait contraire à ses intérêts par une majorité dont l’Allemagne serait le promoteur ?

Comment peut-on imaginer que l’Espagne de AZNAR, ou de son successeur, se laisse « snober » en permanence par le couple franco-allemand alors que ce pays enregistre des performances remarquables sur le plan économique et que l’Espagne se vit comme une grande puissance mondiale, du fait des relations iber-américaines et du formidable développement de la langue espagnole sur le continent américain.

Je répète, qu’à mes yeux, ce qui est en jeu dans l’attitude de la Pologne et de l’Espagne est d’abord une question de rang.

On a fait remarquer, à juste titre, que tant l’Espagne que la Pologne pèsent légèrement plus dans le calcul des voix au Conseil en se basant sur le système proposé par la Convention de préférence au système du Traité de Nice : de 7,8 % à 8,2 % pour l’Espagne, de 7,8 % à 8 % pour la Pologne.

Mais, en réalité, le problème n’est pas là. Tenir son rang comporte à la fois un aspect symbolique (être reconnu pratiquement comme un égal) et un aspect politique : être en mesure de s’opposer plus facilement à une décision majoritaire qui ne va pas dans le sens de leurs intérêts.


C’est pourquoi, ce qui importe à la Pologne et à l’Espagne, c’est davantage leur poids dans la minorité que dans la majorité.

Et, de ce point de vue, le Traité de Nice est beaucoup plus avantageux pour eux que le projet de la Convention : Nice leur donne en effet 30 % de la capacité de blocage alors que la Convention ne leur propose que 20 % ! Dans le système du Traité de Nice, il faut notamment obtenir 255 voix sur un total de 345 pour atteindre la majorité qualifiée. La minorité de blocage se situe donc à 91 voix. Avec leurs 27 voix chacun, la Pologne et l’Espagne représentent donc chacune 30 % de la capacité de blocage. Dans le projet de la Convention, il ne s’agit plus que de 20 %.

III Quelques pistes de réflexion

Je ne veux pas aborder ici la totalité des problèmes qui subsistent et que je ne connais d’ailleurs pas, puisque la présidence italienne n’a pas laissé de P.V. détaillé sur les difficultés qui restent à surmonter.

En toute hypothèse, il faudra se mettre d’accord sur la composition de la Commission et sur le mode de calcul de la majorité qualifiée du Conseil.

3.1. La composition de la Commission

3.1.1 Personnellement, je n’apprécie pas le système proposé par la Convention, à mettre en œuvre à dater du 1er novembre 2009.

Je ne crois pas à la praticabilité du système de coexistence entre un groupe de 15 commissaires avec droit de vote et un groupe (10, puis 12, puis 15…) de commissaires sans droit de vote.

J’imagine mal une Commission où un commissaire maltais et un commissaire slovène voteront au moment où un commissaire allemand et un commissaire hollandais ou polonais regarderont voler les mouches.

Le grand risque d’un tel système est d’affaiblir le poids politique de la Commission (par absence de « représentant » de l’un ou l’autre grand pays) et d’y introduire une dimension proprement intergouvernementale. Je crois en effet que le commissaire non votant, surtout s’il représente un grand pays, aura tendance à se comporter comme une sorte de super Représentant Permanent de son pays au sein de la Commission.

3.1.2 Je ne crois pas non plus qu’à terme il serait souhaitable de maintenir le système d’un commissaire par pays. Avec l’accession des pays issus du démembrement de l’ancienne Yougoslavie, le cap des 30 commissaires sera allègrement dépassé et le poids relatif des petits pays deviendra disproportionné par rapport à celui des grands pays.

3.1.3 Personnellement, je ne vois que deux systèmes praticables :

- Soit, après 2009 (ou 2013), on abandonne le principe d’un commissaire par état (avec ou sans rotation). A charge pour le Président de la Commission, une fois élu par le Parlement, de choisir librement un nombre déterminé de commissaires (15 ou 20) et d’obtenir pour son équipe un vote d’investiture du Parlement européen. Dans ce cas, je conseillerais au futur président de la Commission d’embarquer dans son équipe un commissaire issu de chacun des grands pays. Faute de le faire, il risquerait de se heurter en permanence aux représailles du grand pays ignoré, lequel, sans doute, s’appliquerait avec un zèle revanchard à fédérer les mécontents.

- Soit, après 2009 (ou 2013), on globaliserait les postes disponibles dans 3 institutions – à savoir, la Commission, la Cour de Justice et la Cour des Comptes –, chaque pays étant assuré d’avoir en permanence deux représentants, et étant entendu que chaque grand pays aurait en permanence un représentant dans la Commission.
Ainsi, dans une Union de 25 Etats Membres, il suffirait de fixer à 50 le nombre total de postes disponibles dans les trois institutions (par exemple, 20 à la Commission, 15 à la Cour de Justice, 15 à la Cour des Comptes*), en organisant une rotation tous les cinq ans, avec la seule réserve que les grands pays auraient en permanence un C

Dans une Union à 30 membres, il n’y aurait que 60 postes à répartir, à comparer aux 90 qui résulteraient de l’application du système où chaque pays aurait en permanence un représentant dans chacune des trois institutions.

En toute hypothèse, de 2004 à 2009, il est déjà acquis qu’ils seront 75 à occuper un poste de Commissaire, de Juge ou de Membre de la Cour des Comptes. Est-ce bien raisonnable ?

3.2. La majorité qualifiée au sein du Conseil

3.2.1. Personnellement, je puis marquer mon accord sur le système proposé par la Convention : une décision est acquise à la majorité qualifiée si elle recueille l’assentiment d’une majorité d’Etats représentant 60 % de la population de l’Union.

3.2.2. Remarquons toutefois que le seuil de 60 % est assez arbitraire et peut être discuté. Disons, pour faire simple, que le seuil idéal (dans la logique de la Convention) serait situé à 50 % et que le seuil maximum acceptable serait établi à 62 % (c’est le chiffre du Traité de Nice).

4.2.3. Toutefois, l’application d’un tel seuil – même à 62% – n’est pas de nature, sauf improbable miracle, à rencontrer les objections de la Pologne et de l’Espagne, quant à leur rang, c’est-à-dire, ainsi qu’on l’a vu, quant à leur capacité de refuser des décisions qu’elles considèrent comme contraires à leurs intérêts fondamentaux.

4.2.4. Pour rencontrer cette objection, on pourrait utilement s’inspirer du mécanisme de la sonnette d’alarme tel qu’il est prévu par la Constitution belge.

Gérard Deprez

 Le Défi démographique européen

I. Les perspectives démographiques

1.1. Au-delà des problèmes immédiats qui font l'actualité européenne - l'élargissement, les moyens financiers de l'Europe élargie, la Constitution européenne, l'adhésion de la Turquie -, il y a, à l'œuvre dans nos sociétés, un certain nombre de réalités lourdes de sens pour l'avenir, même si elles sont invisibles à l'œil et ne retiennent ni l'attention des médias, ni des citoyens, ni même de la plupart des hommes politiques.

1.2. Parmi ces réalités lourdes - je les appelle "lourdes" parce qu'elles sont très peu modifiables à court et même à moyen terme -, il y a les réalités démographiques dont les conséquences - c'est en tout cas ce que je pense -, vont modifier la carte du monde et la position relative de l'Europe au sein de celui-ci.

1.3. Quelques chiffres

Je me base, dans cette analyse, aussi bien sur les documents officiels des Nations Unies que sur les travaux de Centres de Recherche spécialisés.

La question est la suivante : quel sera l'état démographique de l'Union à l'horizon de 2050, en référence à l'évolution d'autres parties du monde ?

- En 2050, on peut considérer comme probable - je retiens les hypothèses moyennes -, que l'U.E. (les 15 actuels) aura perdu 58 millions d'actifs et que le nombre des personnes âgées de plus de 60 ans aura augmenté de 43 millions.

- Selon toute vraisemblance, un pays comme l'Espagne (avec l'un des taux de natalité les plus bas du monde), qui compte aujourd'hui 40 millions d'habitants en comptera moins de 30 en 2050.

- Le cas de l'Italie est comparable : d'après les prévisionnistes, en 2050, l'Italie comptera autant de pensionnés que d'actifs.

- Il ne faut pas attendre, sur le plan démographique, de miracle de l'élargissement actuel : les 10 pays adhérents suivent une évolution démographique comparable à celle des 15 pays actuellement membres de l'UE.

- Seule la Turquie présente un profil totalement différent : elle, qui frôle aujourd'hui les 70 millions d'habitants, devrait en, compter au moins 80 millions en 2050, ce qui ferait d'elle, en cas d'adhésion, le pays le plus peuplé de l'Union.

- Quelques autres points de comparaison significatifs :

les USA compteront, en 2050, 50 millions d'habitants de plus qu'aujourd'hui - ce qui veut dire qu'ils seront à eux seuls plus peuplés que les 15 pays de l'Union actuelle ;

le Mexique, qui a actuellement une population active d'environ 51 millions, verra cette population atteindre 81 millions, soit pratiquement le double de la population active de l'Allemagne à la même époque (43 millions) ;

Vers 2050, la population de la Chine avoisinera 1,7 milliard, et la population de l'Inde sera vraisemblablement plus élevée (vu l'absence de politique de contrôle des naissances) ;

La population musulmane totale, dans le même temps, avoisinera le 1.4 milliard, contre un peu plus de 300 millions il y a un siècle.

1.4. Le conclusion est simple : dans un monde en expansion démographique (et donc de plus en plus jeune), l'Europe sera une zone en déclin démographique, avec une population de plus en plus âgée.

II. Le défi

Cet état de choses aura d'énormes conséquences, dont beaucoup sont encore imprévisibles aujourd'hui. Il y en a une en tout cas qui est sûre : une population de plus en plus âgée exigera, dans la répartition de la richesse nationale, une part de plus en plus élevée, pour assurer à la fois le paiement des pensions, la demande accrue de soins de santé (et de revalidation), sans parler des besoins de sécurité.

Dans l'état actuel de fonctionnement de nos systèmes sociaux, cela signifie très concrètement qu'un nombre plus réduit d'actifs devra assumer la charge d'un nombre plus élevé de retraités - qui, par ailleurs, vivront de plus en plus longtemps.

Le facteur travail risque en conséquence de coûter de plus en plus cher, ce qui entraîne automatiquement des exigences plus élevées en matière de productivité et des risques plus grands de délocalisation des activités vers les zones où le coût du travail sera moins élevé.

En un mot, l'équation est rude et le défi colossal.

III. Que faire ?

Il est évident qu'il n'y a pas de réponse simple, d'autant que dans l'histoire, l'imprévisible (épidémie, catastrophe,...)occupe une place importante.

Je voudrais toutefois mettre en exergue trois éléments qui, en toute hypothèse, seront des ingrédients indispensables de toute solution.

3.1. Une croissance plus forte

C'est un fait indéniable - quoi que profondément regrettable - qu'au cours des 20 dernières années, la croissance de l'économie américaine a été sensiblement supérieure à la croissance de l'économie européenne.

Il y a sans doute de nombreux facteurs qui permettent d'expliquer cet état de faits. Il y en a un toutefois qui est évident : les Européens investissent trop peu dans la recherche et l'innovation ;

- la part des brevets européens est en diminution dans le total des brevets déposés ;

- les investissements tant publics que privés dans la R&D sont inférieurs en Europe, en pourcentage du PIB, aux taux atteints par les USA et le Japon.

C'est pourquoi je veux saluer ce qu'il est convenu d'appeler "La Stratégie de Lisbonne" - c'est-à-dire la décision prise à Lisbonne par le Sommet Européen de faire de la zone U.E., l'économie la plus performante du monde pour 2010.

Encore faut-il s'en donner les moyens, ce qui est loin d'être le cas actuellement, tant dans les entreprises privées qu'en ce qui concerne les budgets nationaux et le budget de l'U.E.

Sait-on qu'aujourd'hui, le budget de l'U.E. consacre quasiment 40% de ses ressources au soutien de la politique agricole, et seulement 5% pour la R&D ? Sait-on que sous la pression en particulier de J. CHIRAC, dont il est rare qu'il soit bien inspiré, la part réservée à l'agriculture a été sanctuarisée dans le budget de l'U.E. jusqu'en 2013 ?

Quelques signes d'optimisme apparaissent cependant ces derniers temps. La Commission PRODI vient notamment, dans ses propositions pour les perspectives financières de l'U.E. pour la période 2007-2013, de prévoir une augmentation sensible des crédits européens consacrés à la R&D.

3.2. Un marché du travail plus dynamique

D'une manière générale, et par comparaison avec le reste du monde développé, il faut admettre qu'il y a trop peu d'Européens qui travaillent (taux d'activité), qu'ils travaillent trop peu (durée du temps de travail), et qu'ils s'arrêtent trop tôt de travailler (âge de départ à la retraite).

3.2.1. Plus de gens au travail

Le taux d'activité (nombre de personnes qui travaillent effectivement par rapport au nombre total de personnes en âge de travailler) est trop bas en Europe - et beaucoup trop bas en Belgique et plus encore en Wallonie.

Augmenter le taux d'activité est une priorité absolue, reconnue comme telle d'ailleurs dans le cadre de la stratégie de Lisbonne.

3.2.2. Elargir les plages de travail

Notre marché du travail est trop réglementé, trop bureaucratique et trop rigide. Tant en ce qui concerne la durée du travail qu'en ce qui concerne la durée de la vie active, nos systèmes ne sont pas adaptés ni pour soutenir la croissance, ni pour faire face au défi démographique qui est devant nous.

3.3. Une politique raisonnée d'immigration

Actuellement, tous les pays de l'U.E font face à des flux migratoires importants qui se manifestent sous diverses formes :

  • immigration clandestine organisée par des circuits criminels
  • utilisation des Conventions Internationales protégeant les réfugiés et camouflant, dans 85% des cas, des demandeurs économiques
  • tourisme de travail...

Cette pression migratoire de fait ne va pas cesser, compte tenu de la situation politique, économique, démographique des pays d'Afrique du Nord, d'Europe de l'Est, du Moyen-Orient.

Plutôt que de subir ces flux migratoires incontrôlés, et compte tenu des perspectives démographiques européennes, il faut commencer à concevoir une politique raisonnée d'immigration.

En offrant, chaque année ou par période, des quotas d'immigration, les pays de l'Union auront une chance :

de ralentir les filières clandestines

de desserrer la pression abusive à la demande de statut de réfugié

de diversifier les zones d'origine

de tenir compte des besoins réels de leur économie

de combler, au rythme voulu, les déficits démographiques prévisibles

Conclusions

Ces quelques réflexions n'ont aucune prétention à l'exhaustivité. Elles visent simplement à stimuler la réflexion pour mieux préparer l'avenir. Certes, les prévisions ne constituent pas, par définition, des certitudes, même si en l'occurrence, les tendances sont lourdes.

Par ailleurs, les pistes de réponse proposées ne sont qu'esquissées.

Toutefois, une chose est sûre : le défi devant lequel va se trouver la "Vieille Europe" est d'une telle dimension qu'il est urgent que les Européens s'en préoccupent et se préparent, activement et intelligemment, à y faire face.

Gérard DEPREZ.

 

 

 Faut-il une référence explicite au christianisme dans le texte de la future convention européenne?

Tout a commencé fortuitement. Voici près d’un an, vers la mi-temps des travaux de la Convention, l'un de mes amis, Domenico V. m’a présenté un texte d’une petite demi-page, me demandant de le signer. A priori, la réponse devait être positive, tant Domenico et moi avions déjà co-signé des textes d’intérêt européen, reflétant des positions communes. Parcourant le texte, je découvre, avec surprise, qu’il s’agit d’un appel en faveur de l’introduction d’une référence explicite au christianisme dans le texte de la future convention européenne.

Spontanément, bien qu’avec beaucoup de retenue, je décline la proposition, expliquant que cela ne me paraît pas opportun. A mes yeux – et je n’ai pas changé d’avis à cet égard – une constitution n’est pas et ne peut pas être un livre religieux, et encore moins un livre saint : c’est la charte fondatrice d’un espace politique qui doit organiser et garantir le respect des convictions de tous les citoyens. De ce fait, une constitution démocratique n’a pas à exprimer de préférence confessionnelle ou religieuse ; elle ne peut être que « laïque ».

De manière paradoxale toutefois, alors que je croyais le débat clos, cet événement fortuit a éveillé en moi un intérêt de simple curiosité d’abord, de véritable questionnement ensuite. Je me suis mis à suivre, avec une attention de plus en plus soutenue, le développement d’une « disputation » dont l’ampleur n’a cessé de croître, et partant, mon intérêt pour elle.

Réglons d’abord leurs comptes à quelques excès. Ainsi, parmi les adversaires de la référence chrétienne, il est des textes qui s’apparentent à une forme de négationnisme d’un genre nouveau. A titre d’exemple, je cite les propos d’un conventionnel français (CONV 577/03. CONTRI. 256) qui n’hésite pas à écrire : « L’élément religieux ne constitue pas un élément identitaire de l’Union européenne et il n’y a aucune raison de l’introduire dans le texte constitutionnel. Il est d’ailleurs constant dans l’histoire de l’Europe que les religions ont été un des éléments souvent tragiques, de la division de l’Europe ». Il y a certes une part de vérité dans le point de vue de notre moderne sans-culotte. Encore faudrait-il ne pas occulter la contribution civilisatrice décisive du christianisme, notamment au Moyen-Age et surtout ne pas oublier que les boucheries les plus sanglantes de l’Europe du 20ème siècle ont été engendrées par les pathologies nationalistes (14-18), le néo-paganisme hitlérien (40-45) et le laïcisme lénino-stalinien.

De la même manière, dans le camp des zélotes de la référence chrétienne, il y a des demandes qui sont, à mes yeux, difficilement justifiables. Ainsi en est-il par exemple, de ce passage de la lettre envoyée en juin 2003 par Mgr Josef Homeyer, président de la commission des épiscopats de la Communauté européenne à V. Giscard d’Estaing, alors président de la Convention : « … Permettez-moi également de renouveler notre proposition en vue d’une référence à Dieu. Rappeler les limites du pouvoir humain, la responsabilité devant Dieu, l’Humanité et la Création, serait montrer de manière claire que le pouvoir public n’est pas absolu ». Il m’est difficile de comprendre qu’une personnalité de haut rang de l’Eglise catholique puisse ignorer (feigne d’ignorer ?) que l’objet principal d’une constitution démocratique est précisément de « contenir » le pouvoir public, en ce qu’elle impose le respect des droits fondamentaux des citoyens et qu’elle organise le contrôle des institutions politiques par ceux-là même dont elle consacre les droits. Le propre d’une constitution démocratique tient précisément au fait qu’elle n’a nul besoin d’un garant extérieur – qu’il soit d’ordre religieux, philosophique ou scientifique – pour établir sa légitimité et fixer ses limites : c’est un contrat social, à la fois solennel et pragmatique, qui lie les contractants en même temps qu’il les libère. En se refusant d’aborder la question du sens, une constitution démocratique ouvre tout grand l’espace d’expression des convictions religieuses et philosophiques.

Cheminant laborieusement entre ses excès, je me suis rendu compte, un beau jour, que les conventionnels venaient de franchir une étape importante en distinguant ce qui doit être de l’ordre du dispositif constitutionnel (les articles) et ce qui relève du préambule (déclamation identitaire et prophétique).

Dans le dispositif constitutionnel, les conventionnels, en adoptant l’article 51(1) ont solennellement confirmé des principes essentiels, déjà consacrés par ailleurs dans les différentes constitutions des Etats membres : liberté de religion, liberté de culte, reconnaissance spécifique du rôle des Eglises et des communautés religieuses.

A première vue, ce texte qui me satisfait doit être aussi de nature à répondre aussi bien aux attentes des croyants que des incroyants. Il m’apparaît d’ailleurs qu’il correspond, quasi point par point, aux revendications expresses formulées par le pape Jean-Paul II dans l’ « Exhortation apostolique » de juin 2003, adressée aux rédacteurs du futur traité constitutionnel(2).

Pour ce qui est du préambule – qui est, je le rappelle, une déclamation à la fois identitaire et prophétique – les choses se présentent beaucoup moins bien. Après bien des palabres et de nombreuses impasses, les conventionnels ont fini par s’accorder sur un texte dont la banalité frise, à mes yeux, l’indigence : « S’inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe… ». Qui ne voit qu’il s’agit là d’un texte de castrat, dans lequel l’énumération de vocables abstraits camoufle mal l’incapacité de donner contenu, et donc sens, à ce qui est prétendument signifié ? Mais en quoi donc consistent précisément ces héritages culturels, religieux et humanistes dont nous sommes les héritiers ?

En tant que chrétien, j’ai tendance à partager sur ce point le jugement de Jean-Paul II pour lequel l’absence de toute référence au christianisme est une « injustice » car « reconnaître un fait historique indéniable ne signifie pas méconnaître l’exigence moderne d’une juste laïcité des Etats, et donc de l’Europe ». Fait historique indéniable, juste laïcité des Etats, les choses sont claires. Dans cet esprit, plaider pour une référence explicite à l’héritage chrétien dans le préambule n’est pas une nouvelle croisade qui vise à christianiser rétrospectivement tout notre passé ou à christianiser les générations futures. Il s’agit simplement de rappeler que les valeurs qui guident les européens d’aujourd’hui et qui sont proclamées dans leur projet de constitution, se sont constituées au cours des siècles dans un corps-à-corps permanent, souvent consensuel, parfois conflictuel sinon même tragiquement brutal, entre le christianisme et ses institutions d’une part, les citoyens et les pouvoirs dits temporels d’autre part.

Il me plaît, à cet égard, de citer les propos d’un conventionnel socialiste espagnol que je veux évoquer, de manière quelque peu paradoxale, à l’appui de ma position. Il écrit « que nombre de nos valeurs se sont forgées contre les Eglises et [qu’] en matière de démocratie, de droits de l’homme et d’égalité, Dieu est un converti récent ». C’est pour respecter ses convictions à lui, qui procèdent d’une autre tradition que la mienne, que je plaide pour que la référence au christianisme soit accompagnée d’autres références dont le caractère historique est aussi indéniable. Si notre histoire européenne est marquée par le christianisme, cette marque n’est pas la seule, ni même, pour beaucoup la plus pertinente. Nous sommes les héritiers d’une histoire complexe qui a plusieurs socles.

C’est pourquoi, tout bien pesé, je proposerais que la fameuse phrase du préambule soit réécrite de la manière suivante : « S’inspirant , en particulier, des héritages de la civilisation gréco-romaine, du christianisme et de l’humanisme des Lumières… ». Il me semble que, dans cette formule, l’histoire trouve son compte et l’Europe, des fondements pour son avenir.

 Convention pour une nouvelle Europe (Paris, UDF)

Intervention de Gérard Deprez Convention pour une Nouvelle Europe
7 décembre 2002

Nous passons maintenant aux institutions et c'est Gérard Deprez qui va nous présenter l'état du débat institutionnel et la manière dont il souhaite que nous prenions le problème.

Gérard DEPREZ. - Une fois Monsieur le Président merci que tu me donnes la parole ! Pardonnez-moi, je pensais que vous vouliez du belge, et j'allais vous donner du belge ! (Rires)
Il y a une boutade de Jean-Louis Bourlanges que je veux vous transmettre. Il a dit qu'il comprenait parfaitement bien que ce soit à moi que l'on demande de prendre la parole sur les institutions politiques de l’Union parce que je viens du seul pays au monde qui a des institutions plus compliquées et plus difficiles à comprendre que l’Union européenne.
(Rires...)
Une réflexion sérieuse, avant de poser le problème de l'avenir des institutions.
Je veux dire que l'avenir de l’Union européenne est basé non seulement sur des idées mais d’abord sur une force de conviction. Quand, il y a très peu de temps, un certain nombre d'hommes, dont certains sont dans cette salle – je fais référence expressément à François Bayrou – ont plaidé ouvertement à un moment où tout le monde ne parlait que de l'euro-scepticisme pour qu'on se lance dans la construction d'une Europe basée sur une Constitution européenne, on n’a entendu que des ricanements. Aujourd’hui, s'il y a déjà une chose qui est acquise à la Convention sur l'avenir de l'Europe, c'est que demain, l'Europe aura une Constitution et cela c'est fantastique.
Je vais essayer d'indiquer maintenant quelles sont les grandes idées générales qui doivent être à la base des institutions que nous devons construire et concevoir pour l'Europe de demain.
En premier lieu, et je pense qu'il faut s’en souvenir en permanence, l’Union européenne ou la Communauté européenne ou les États-Unis d'Europe, autrement dit ce que nous allons faire en commun avec les peuples et les États d'Europe, aura toujours une double légitimité. Nous devons concevoir des institutions qui permettent à la fois de répondre aux aspirations des États – il y aura toujours une dimension fédération d'États dans la construction européenne –, et aux aspirations de ce que j’appelle la communauté des citoyens.
Concevoir une Europe dans laquelle on ne respecte pas et on n'articule pas ces deux principes : fédération d'États et communauté de citoyens, c'est construire une Europe bancale.
Deuxièmement, contrairement à certains, y compris en France, qui croient que la méthode communautaire ou la méthode intergouvernementale c'est la même chose, j’affirme qu’il y a une différence radicale entre les deux.
La méthode communautaire est celle qui conduit à l'intégration, la méthode intergouvernementale est la méthode du passé et du maintien du nationalisme des États.
Troisièmement, et je pense que c'est essentiel, comme le débat de ce matin l'a bien montré, nous devons concevoir des constitutions pour une Europe non pas élargie, mais réunifiée parce qu'une Europe réunifiée ne change pas seulement de dimension, elle change de nature.
Nous ne devons plus gérer seulement, comme à l’origine, un club de quelques pays, nous devons concevoir des institutions politiques qui vont gérer l'avenir d'un continent et la position de ce continent comme acteur dans la mondialisation.
Quatrièmement, dans tout débat sur les institutions, la question n'est pas de savoir quelle est l'institution qui va avoir la prééminence ou qui va être la plus forte. Ce qui doit être notre objectif, c'est de concevoir l'architecture institutionnelle susceptible d'atteindre au mieux les objectifs que l'on se fixe en respectant des principes que l'on a établis. Donc évitons une guerre en disant : je renforce ceci, je renforce cela. Non. Concevons l'architecture et la dynamique institutionnelle qui produit le meilleur résultat par rapport à ce que nous voulons faire ensemble.
Cela, ce sont vraiment à mes yeux les considérations de base qui doivent nous guider lorsque l'on discute de l'avenir des institutions européennes.

Nous devons le faire avec un certain nombre de principes : il y en a 3, et les trois correspondent à ce que vous sentez tous, à ce que vous demandez tous de vos institutions nationales et que les citoyens européens demandent aujourd'hui et demanderont encore plus demain des institutions européennes.
Il faut plus d'efficacité, il faut plus de démocratie, il faut plus de transparence.
Je parlerai très peu de la transparence. Ceux d'entre vous qui sont intéressés se reporteront à deux documents extraordinaires que je trouve à la fois superbes sur le plan intellectuel et parfaitement pertinents sur le plan politique. Le premier, c'est le rapport de notre ami Alain Lamassoure sur la répartition des compétences entre l'Union européenne, les États-membres et les collectivités locales ; le deuxième, c'est un des rapports qui vient d'être déposé à la Convention, qui émane du groupe de travail D'Amato et qui propose de simplifier considérablement les instruments d'intervention législatifs européens en les faisant passer de 15 à 3. C'est quand même une simplification sérieuse.
Sur base de ces principes entrons maintenant dans quelques éléments clés du débat.
Que doit-on faire dans l'immédiat pour rendre les institutions plus démocratiques ?
Selon moi, la première exigence, c'est que le président ou le chef... (je ne sais pas quel nom il doit porter) ou le Premier Ministre ou le patron de l'exécutif européen, doit être investi de la confiance du Parlement européen. Nous avons besoin d'un chef de l'exécutif européen qui soit investi directement de la légitimité parlementaire des mandataires élus directement par les citoyens européens.
Idéalement, en vertu du principe de la double légitimité dont j'ai parlé, cet homme devrait soit être proposé par le Conseil européen, soit recevoir l'investiture du Conseil européen. Il y aura à ce sujet un débat, que je ne veux pas trancher aujourd’hui.
Mais il y a deux questions qui sont en discussion à propos de ce chef de l'exécutif qui n'est pas, à mes yeux, seulement le chef de la Commission. Je pense tout d’abord que nous devons avoir le courage et l'intelligence d'inventer un concept d'exécutif qui dépasse la seule Commission. Faut-il ensuite que le chef de cet exécutif soit responsable à la fois devant le Parlement européen et devant le Conseil des Ministres ? C'est une position affirmée dans le document de la Commission hier. Elle a été affirmée également dans le mémorandum du Bénélux. Elle vient donc de divers côtés.
Je me pose sérieusement la question de savoir s'il faut faire cela. Pourquoi ?
Comment allons-nous arbitrer la situation, dans le cas ou une institution, par exemple le Parlement européen, va confirmer sa confiance au président de l'exécutif alors que le Conseil européen va la lui retirer. Comment tranchons-nous cela ?
Ou bien alors on doit - et c'était la première intervention de votre ministre des affaires étrangères à la Convention, Monsieur de Villepin, qui m'a beaucoup choqué - inventer un mécanisme par lequel le Conseil des Ministres européen puisse dissoudre d'autorité le Parlement européen ... Oui, le ministre des affaires étrangères de l'État français a fait cette proposition. Je dis que c'est vraiment le genre de proposition qui est une erreur sur tous les plans. Vous allez détruire le principe même de la double légitimité. S'il y a deux légitimités, elles doivent être indépendantes l’une de l’autre et si vous donnez à l'une, celle du Conseil, le pouvoir de détruire l'autre, vous établissez une sorte de droit au coup d'État institutionnel de la part des États-membres contre les élus directs du Parlement européen. Pour moi, c'est une grave erreur.

Plus de démocratie, cela veut dire aussi que demain dans toutes les matières législatives, le Parlement européen doit pouvoir être co-législateur avec le Conseil. Ce qui est loin d'être le cas maintenant. Il y a des secteurs dans lesquels on prend tous les jours, dans l'architecture institutionnelle actuelle, des décisions qui permettent à des citoyens d'entrer ou de ne pas avoir le droit d'entrée sur le territoire européen sans qu'il y ait jamais aucun Parlement, ni national ni européen, qui ait eu un mot à dire. Ça, c'est la méthode intergouvernementale que l'on pratique encore maintenant dans le secteur de la justice et des affaires intérieures. C'est un vrai scandale démocratique.

En ce qui concerne l'efficacité des institutions, je me limiterai à deux points.
La première mesure la plus nécessaire, la plus impérieuse, celle à l'aune de laquelle on jugera l'intérêt des travaux de la Convention, c'est d’exclure dans la future Constitution européenne la possibilité pour les États nationaux de continuer à exercer leur droit de veto.
J'ai une nouvelle fois été surpris et déçu que lors de sa première intervention devant la Convention, le ministre français des affaires étrangères ait réclamé le droit pour l'État français de continuer à exercer son veto dans le domaine de la PAC.
Je suis partisan de la PAC. Je suis partisan d'aider les pays qui sont des puissances agricoles dans l’Union européenne : la France, la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie… mais je pense que réclamer, dans un domaine dont chacun sait qu'il est essentiel aux intérêts stratégiques d'un Etat, le pouvoir de veto, c'est conduire tous les autres Etats à demander le pouvoir de veto dans des matières qu'ils considèrent comme étant importantes pour eux et c'est créer le blocage généralisé.

Je vais traiter le dernier problème avec une certaine légèreté. Ce problème, dont on débat beaucoup en Europe, est le fait de savoir si la figure emblématique de l’Union demain doit être plutôt le président de la Commission ou plutôt une figure qui émanera du Conseil des Ministres. Je vous ai déjà donné ma réponse. Pour moi, la figure emblématique de l'Europe demain, c'est le président ou le Premier Ministre ou le patron de l'exécutif européen.
Mais on entend beaucoup parler d'une figure emblématique qui sortirait du Conseil des Ministres. Ces derniers jours, les pays du Bénélux viennent de faire savoir d'une manière particulièrement énergique qu'ils n'accepteraient jamais un Président qui soit extérieur au Conseil des Ministres. Cela veut dire : impossible pour notre ami Jacques Delors, impossible pour notre ami Giscard d'Estaing. Je pense que ce ne sont pas les personnalités les plus potentiellement malfaisantes pour l'avenir !
Cela dit, j'ai noté les paroles prononcées par le président de la convention Valery Giscard d'Estaing à Paris devant l'Assemblée Nationale, la semaine dernière. Il est venu faire un plaidoyer explicite pour une présidence du Conseil européen qui soit plus stable et moins anonyme qu'actuellement. Il a dit textuellement ceci : « il appartiendrait à ce président de veiller à ce que le Conseil européen exerce la fonction qui lui est assignée par le traité de l’Union européenne et qui consiste à donner à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et à en définir les orientations de politique générale ».
Donc, si je comprends bien, même si je traduis un peu librement les propos de notre illustre conférencier, il s'agirait de désigner une sorte de chairman of the board ou bien, pour le dire en belge, une sorte d'Albert II (le Roi des belges) à la fois débonnaire et visionnaire !
Ma conclusion est la suivante.
Si cela était véritablement le cas, et si nous avions confirmé antérieurement le principe que la personnalité emblématique de l’Union est le patron de l'exécutif européen, je vous conseille de ne pas refuser a priori un Albert II qui serait à la fois débonnaire et visionnaire.
Merci de votre attention.

 

 Journée d'étude internationale - Université Robert Schuman Strasbourg,
le 6 octobre 2000

"La Convention Europol : l'émergence d'une police européenne ?
Intervention de Gérard DEPREZ :"Le point de vue du Parlement européen"

Mesdames, Messieurs,

La tâche qui m'échoit aujourd'hui à l'occasion de cette journée d'étude consacrée à Europol est quelque peu délicate.

Il m'incombe en effet de vous présenter le point de vue du Parlement européen sur Europol, c'est-à-dire de vous entretenir d'une matière qui est, aux yeux de la majorité des parlementaires européens, un sujet de frustration permanent.

Comme vous le savez en effet, les compétences du Parlement européen à l'égard d'Europol sont très limitées. Elles sont définies à l'article 34 de la Convention, et se bornent à prévoir :

que la Présidence du Conseil adresse annuellement au Parlement européen un rapport spécial d'activités sur les travaux menés par Europol;

que le Parlement européen est consulté lors de la modification éventuelle de la Convention.

Et comme pour confirmer à plaisir le rôle marginal du Parlement européen, le même article prévoit, au paragraphe 2, que "vis-à-vis du Parlement européen, la Présidence du Conseil ou le représentant désigné par la Présidence tient compte des obligations de réserve et de protection du secret", comme si cela n'allait pas de soi !

Si vous acceptez avec moi que l'essence du contrôle parlementaire réside dans la possibilité de statuer sur les fondements juridiques et des contrôler l'action des personnes responsables, il est manifeste que le contrôle exercé par le Parlement européen sur Europol est absolument marginal. En réalité, nous devons admettre que, dans le système actuel, l'essentiel du contrôle parlementaire incombe aux parlements des Etats membres.

C'est un premier objet de frustration pour le Parlement européen, ou à tout le moins pour la majorité "active" de ses membres.

Il en est un second qui tient moins à la faiblesse des compétences du Parlement européen qu'à la méthode utilisée par les Etats membres pour créer et pour gérer l'Office européen de Police (encore que les deux aspects soient étroitement liés).

Par nature, aurai-je tendance à dire, et en tout cas par la vocation qu'il s'est lui-même définie, le Parlement européen se veut le moteur ou à tout le moins le garant de la méthode communautaire, qui veut que les matières d'intérêt commun soient "communautarisées", c'est-à-dire initiées et gérées par les institutions communautaires, dans l'esprit des Traités Fondateurs.

De ce point de vue, la Convention Europol - même si elle constitue un progrès par rapport à la situation antérieure - est une source de frustration "méthodologique" pour le Parlement européen, puisqu'elle procède directement de la méthode intergouvernementale.

Cette double frustration du Parlement européen est donc dans notre esprit la conséquence directe de deux "fautes" de conception du système "Europol":

une faute contre l'intégration européenne, puisqu'elle privilégie la méthode intergouvernementale" par rapport à l'approche communautaire;

une faute contre la démocratie, puisque dans une matière délicate qui touche aussi directement au droit des personnes, Europol n'est pas soumis à un contrôle parlementaire efficace, lequel n'est pas réellement possible au niveau interétatique.

C'est donc tout naturellement avec l'objectif de corriger cette double faute que le Parlement européen aborde la problématique Europol.

C'est en tout cas ce qui apparaît dans la plus récente prise de position du Parlement européen à l'égard d'Europol. Il s'agit de la "Recommandation du Parlement européen au Conseil sur Europol : Renforcement du contrôle parlementaire et élargissement des compétences", parue au Journal Officiel des Communautés européennes du 30 juillet 1999.

Ce texte, il est important de le noter, est l'aboutissement d'une initiative parlementaire. Il s'agit en fait d'un rapport d'initiative de M. Hartmut Nassauer autorisé par la Conférence des Présidents du Parlement européen, et adopté par la plénière le 13 avril 1999.

L'esprit de ce texte est parfaitement résumé dans les "considérant" de la proposition, qui s'articulent autour du raisonnement suivant :

Le Parlement européen se dit "convaincu que le contrôle exercé par les parlements nationaux sur les mécanismes interétatiques est lourd et peu efficace, et que sa propre information ne peut être considérée comme un contrôle parlementaire suffisant" (Considérant Q)

Le Parlement européen se dit, par ailleurs, "convaincu que le développement d'Europol en unité de police dotée de pouvoirs d'intervention devrait être envisagé comme une réponse à l'extension de la criminalité transfrontalière organisée [...]" (Considérant U)

Il en découle logiquement, pour le Parlement européen, qu'un tel "Office européen de police intervenant pratiquement dans le domaine juridique protégé du citoyen [...] ne peut plus être organisé de manière interétatique, mais doit reposer sur une base juridique communautaire qui puisse justifier les compétences directes du Parlement [européen] en la matière" (Considérant X)

C'est en s'appuyant sur ce raisonnement que le texte adopté par le Parlement européen formule 19 recommandations, dont les plus importantes visent précisément à tirer les premières conséquences opérationnelles des principes affirmés et approuvés.

Ainsi, la recommandation 5 "invite le Conseil à décider de la reprise du budget d'Europol dans le budget communautaire et à prendre en considération les décisions budgétaires qui s'imposent conjointement avec le Parlement lorsque la Commission aura fait des propositions dans ce sens."

Je vous signale d'ailleurs à ce propos qu'en tant que rapporteur pour le budget de la Commission des libertés et des droits des citoyens, de la Justice et des Affaires intérieures, j'ai veillé à ce que le Budget Général de la Communauté européenne comprenne dès à présent une ligne budgétaire spécifique, dénommée "Europol", destinée à l'inscription éventuelle des ces crédits. Malheureusement, jusqu'à présent, le Conseil des Ministres n'a pas souhaité modifier la Convention Europol sur ce point, laquelle prévoit en son article 35 un financement sur la base de contributions des Etats membres.

Sur un plan plus opérationnel, la recommandation 14 "invite le Conseil, en vue de lutter efficacement contre la criminalité transfrontalière, à vérifier s'il peut transférer à Europol la responsabilité de coordonner la lutte contre cette criminalité dans le cadre de ses compétences, y compris le pouvoir indispensable de donner des instructions aux autorités policières nationales, et quelles bases juridiques doivent être créées à cette fin".

La recommandation 16 invite le Conseil, dans cette hypothèse, "à prévoir la création d'un parquet européen, ou d'un autre type d'autorité légale, chargé de guider, d'une manière professionnelle, les activités d'investigation d'Europol."

Tout le système est couronné par les recommandations 17 et 18 où le Parlement européen demande expressément "de consacrer le principe selon lequel Europol relève du droit communautaire et de le soumettre à la responsabilité d'un membre de la Commission", lequel sera soumis au contrôle du Parlement européen.

Si je devais, en guise de synthèse, résumer la position du Parlement européen à propos d'Europol, j'aurais tendance à formuler les choses de la manière suivante :

Dans l'état actuel des choses, l'Office européen de police n'a pas, sur le plan opérationnel, les moyens de lutter efficacement contre les formes de criminalité qu'il doit aider à combattre.

En outre, alors qu'Europol doit, dans l'accomplissement de sa mission, traiter essentiellement des données à caractère personnel, le contrôle parlementaire interétatique auquel il est soumis n'est ni adéquat, ni efficace.

C'est pourquoi il faut transférer à Europol des compétences en matière de coordination transfrontalière des opérations de police, ce qui implique nécessairement la création d'un parquet communautaire.

Pour respecter la légitimité démocratique et la possibilité de contrôle parlementaire, il faut que ce parquet européen dépende de la Commission européenne, qui doit être elle-même responsable devant le Parlement européen.

C'est ainsi qu'aux yeux du Parlement européen, l'efficacité opérationnelle, la légitimité démocratique et l'intégration européenne se rejoignent dans l'intérêt et des citoyens, et des peuples et des Etats.

Il me reste enfin, en guise de conclusion, à aborder un problème particulier mais essentiel, à savoir la protection des données à caractère personnel.

Vous n'ignorez pas que le Traité signé à Amsterdam le 2 octobre 1997 a introduit dans le Traité instituant la Communauté européenne l'article 286, dont le paragraphe 1 est libellé comme suit :

"A partir du 1er janvier 1999, les actes communautaires relatifs à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données sont applicables aux institutions et organes institués par le présent traité ou sur la base de celui-ci."

Le paragraphe 2 prévoit que le Conseil institue un organe indépendant de contrôle chargé de surveiller l'application de cette disposition : il s'agit du contrôleur européen de la protection des données (ou C.E.P.D).

C'est ainsi qu'actuellement, le Parlement européen examine une proposition de règlement du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes de la Communauté et à la libre circulation de ces données. Le vote sur cette proposition est d'ailleurs prévu la semaine prochaine en commission des libertés et des droits des citoyens, de la justice et des affaires intérieures (Rapport Paciotti).

Vous savez, par ailleurs, que tant la Convention Europol (26 juillet 1995) que la Convention d'application de l'accord de Schengen (19 juin 1990) et la Convention sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes (26 juillet 1995) ont toutes prévu des autorités de contrôle des données au niveau national, et d'autres autorités communes de contrôle des données au niveau européen.

Cela signifie que, outre les autorités nationales de contrôle, il existe trois autorités de contrôle communes au niveau européen, chacune d'elles étant jusqu'ici dotée de son propre secrétariat et étant compétente dans son domaine.

Pour tenter de simplifier quelque peu les choses, la République portugaise a pris l'initiative de proposer une décision du Conseil portant création d'un secrétariat unique pour ces autorités de contrôle communes (Rapport Hernandez Mollar, adopté par la plénière le jeudi 21 septembre dernier).

Face à cette situation - dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle est caractérisée par une complexité élevée et une hétérogénéité profonde -, le Parlement européen est en train d'adopter une position conforme à ce que je vous ai indiqué précédemment, à savoir : volonté de communautarisation et renforcement concomitant du contrôle démocratique.

Pour le Parlement européen, en effet, "la protection des personnes physiques dans le traitement des données à caractère personnel [...] devrait, à moyen terme, déboucher sur l'adoption d'une réglementation composée de normes communes de protection et, dans ce cas, aboutir à la création d'une autorité unique, chargée de garantir cette protection."(Considérant 1 nouveau, Rapport Hernandez Mollar).

Pour le Parlement européen, cette autorité unique, disposant d'un secrétariat unique, devra être dotée de la personnalité juridique, avoir un budget et un personnel propres, ainsi qu' un domaine de compétences étendu à toute l'activité de l'Union européenne, sans considération de "piliers".

C'est dans cet esprit que le Parlement européen fait actuellement pression sur le Conseil pour que les frais découlant de la mise en marche du secrétariat soient inscrits à une section spécifique du budget général des Communautés européennes, et non à la section du budget général relative au Conseil.

Dans le même temps, le Parlement européen demande également que les dépenses relatives à l'installation et au fonctionnement des services du contrôleur européen de protection des données soient inscrites à la même section spécifique du budget général des Communautés européennes.

Par ce fait, le Parlement européen entend jeter budgétairement les bases d'un organe unique de contrôle de la protection des données en tant que garantie de l'uniformité dans le traitement des cas soumis au contrôle.

Voilà, Mesdames, Messieurs, ce que je puis vous dire aujourd'hui de la position du Parlement européen à l'égard d'Europol.

Dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, la stratégie du Parlement européen s'articule autour de deux axes :

renforcement du contrôle démocratique
renforcement de l'intégration communautaire

 

 



Articles écrits en collaboration avec Monsieur Rossetti di Valdalbero :

 

L'énergie, thème prioritaire pour l'Europe

 

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Les enjeux de la "construction" européenne

L'ancien premier ministre anglais Winston Churchill avait l'habitude de dire que lorsqu'il devait parler deux minutes, il avait besoin de deux jours pour préparer son exposé; lorsqu'il devait parler deux heures, il pouvait prendre la parole sur-le-champ. Bref, être concis est toujours difficile.

Comment expliquer l'Europe, ses origines, ses rouages, ses tenants et ses aboutissants en quelques minutes? L'architecture peut nous aider dans cet effort de synthèse, de comparaison et de simplification.

Trois grands piliers


Les soubassements de l'édifice européen se sont ancrés au fil des siècles autour de trois grands piliers globalement partagés sur tout le continent européen et généralement reconnus par les historiens: l'héritage gréco-romain, les racines chrétiennes et les idées des Lumières.

Le ciment de la maison Europe se compose des principes découlant de la «Déclaration des droits de l'homme» qui ont été modelés dans les années cinquante par les pères fondateurs.

Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi et Paul-Henry Spaak voulaient une Europe démocratique et libre où la concurrence et l'économie de marché seraient accompagnées de mécanismes de solidarité. On comprend ainsi la place accordée à la primauté du droit, au respect de la personne humaine, à la libéralisation, au soutien aux régions défavorisées, bref aux positions et politiques menées par l'Union européenne (UE) depuis plus d'un demi siècle.

Mélange hétéroclite, parfois insaisissable, ces fondations et ce gros œuvre donnent pourtant toute sa stabilité au bâtiment.

Le rez-de-chaussée est constitué des différents traités européens: Paris en 1951, qui met en commun le charbon et l'acier; Rome en 1957, qui crée la Communauté économique européenne; Bruxelles et Luxembourg en 1985 qui, avec l'Acte unique européen, achèvent le marché intérieur et ses libertés de circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux; Maastricht, en 1991, qui donne naissance à l'union économique et monétaire, qui lance la politique étrangère et de sécurité commune et qui pose les premiers pans juridiques en matière de justice et d'affaires intérieures; Amsterdam en 1997, qui accroît les matières «proches des citoyens» comme l'emploi, la santé publique ou les services d'intérêt général; Nice en 2000 qui, tant bien que mal, adapte les institutions et les processus décisionnels à la situation de l'Europe du XXIe siècle; sans parler du «traité constitutionnel» de Rome de 2004 et de ses avancées significatives mais qui reste, pour le moment, en suspens.

Deux murs porteurs

Deux murs porteurs soutiennent l'édifice européen: l'approfondissement et l'élargissement. Le premier marque une plus grande «européanisation» tant des institutions que des politiques de l'Union.

Le Parlement européen a acquis toujours plus de pouvoirs, surtout depuis son élection directe à partir de 1979, pour devenir un quasi-législateur; la Commission, bras exécutif de l'Union, est toujours à mi-chemin entre une simple administration et un véritable gouvernement européen; le Conseil et le Conseil européen ont pris leur forme d'institution à part entière.

Sur la base du fameux article 235, le «constituant permanent», et avec l'appui de la jurisprudence de la Cour de justice, l'Union européenne a élargi au cours de ces 50 ans ses compétences dans des domaines tels que l'environnement, la protection des consommateurs ou les réseaux transeuropéens.

L'élargissement a permis à l'Europe de se rapprocher de sa dimension continentale que prédisaient des visionnaires comme Victor Hugo ou Richard Coudenhove Kalergi. De l'Allemagne, de la France, de l'Italie et du Benelux de l'origine, au Danemark, à l'Irlande et au Royaume-Uni (1973), à la Grèce (1981), à l'Espagne et au Portugal (1986), à l'Autriche, à la Finlande et à la Suède (1995), et finalement aux dix pays d'Europe centrale et orientale (et du sud) qui ont adhéré en 2004: la petite Communauté des «Six» est devenue la grande Union des «Vingt-cinq».

Le premier étage de la construction est composé de deux grandes pièces communicantes dénommées «Espace Schengen» et «Zone Euro». Vouées à s'agrandir (les «Vingt-cinq» n'en font pas tous partie) et à être achevées (circulation des travailleurs, gouvernance économique européenne), elles procurent un grand sentiment d'appartenance à leurs résidents.

Libre circulation des personnes sans entraves et monnaie commune font que les Européens se sentent de la maison, sans parler du confort qui leur est apporté: finis les désagréments; finies les longues queues aux postes frontières; finies les pertes aux bureaux de change, etc.

La gaine technique de l'Europe est constituée de tout le corpus législatif européen - l'acquis communautaire - et est quotidiennement gérée, entretenue et améliorée par la Commission européenne et ses Directions générales, par le Conseil sous ses différentes moutures, ainsi que par les diverses commissions parlementaires.

Il faut aussi souligner le rôle des différents «comités» (représentant les Etats membres) qui accompagnent la Commission dans l'exécution de ses décisions et les centaines d'associations sectorielles actives à Bruxelles qui donnent aussi leur input technique tout au long du processus décisionnel européen. D'un «Livre vert» (consultation des parties en jeu) à une Communication (prise de position institutionnelle) jusqu'à une directive (qualifiée de «loi européenne» dans le Traité de 2004), à travers les experts, les avis du Comité économique et social et/ou du Comité des régions, les intérêts nationaux et sectoriels sont pris en considération.

Au deuxième étage, deux chambres accaparent 80% du budget. La première, la politique agricole commune (PAC), est âprement discutée. Considérée comme vieillotte et dépassée ou en tout cas poussiéreuse par certains, elle est indispensable aux yeux des autres pour la sauvegarde des zones rurales et la préservation d'un certain type d'alimentation. Partisans de la globalisation («ailleurs, c'est mieux et moins cher») et défenseurs du patrimoine («ici, c'est le paysage et la qualité des produits qui est en jeu») s'empoignent souvent dans cette salle. La deuxième chambre s'est fort développée à la fin des années 80. Pour Jacques Delors, la cohésion économique et sociale - de façon concrète, principalement les fonds structurels - devait être le pendant du marché unique. Souvent remis en question, les fonds structurels doivent continuellement s'adapter aux nouvelles régions (hier l'Espagne et le Portugal, aujourd'hui les pays d'Europe centrale et orientale) et aux nouveaux enjeux (innovation et développement durable). Ceux qui passent par cette chambre, qu'ils soient les résidents ou les invités d'un soir, découvrent le charme de l'Europe de la solidarité.

Quatre balcons

Quatre balcons donnent sur l'extérieur: la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), l'aide au développement, l'aide humanitaire et la politique commerciale commune.

Ils permettent à l'Europe de se projeter vers le monde (ce que les «Vingt-cinq» veulent faire ensemble) mais aussi de mettre en relief quelques points saillants de la façade, ce que l'étranger voit en premier lieu et qui l'aideront à se forger une opinion de l'Europe (actions et idées promues par l'UE). Des symboles, comme le drapeau de douze étoiles dorées sur fond bleu hissé sur le balcon central, complètent cette perspective.

Le troisième étage est encore neuf et inachevé. Il concerne la recherche et développement (R&D) et l'éducation en Europe.

Insufflé par le vicomte Etienne Davignon, le premier programme cadre de R&D date de 1984. La Commission a proposé de doubler le budget de son septième programme cadre (2007-2013) et de dépenser - investir - ainsi 10 milliards d'euros afin de se rapprocher des objectifs de compétitivité fixés par la «Stratégie de Lisbonne». Cependant, aujourd'hui, plus de 90% du budget dédié à la recherche se trouvent encore entre les mains des Etats membres (cf. Fonds national de la recherche scientifique en Belgique, Centre national de la recherche scientifique en France...).

Si les programmes Erasmus relatifs à la mobilité des étudiants universitaires sont bien connus, il n'en reste pas moins que l'éducation demeure une compétence quasi exclusivement nationale, voire des Régions ou, en Belgique, des Communautés.

Les citoyens européens, qui disposent d'une série de droits depuis Maastricht, n'ont pas encore d'éducation européenne, ni même de modules communs sur l'Europe.

Le toit de la maison Europe représente sans doute le mieux la paix et la volonté de vivre ensemble. Il permet qu'une petite intempérie (cf. minorité ethnique dans un pays) ne vienne pas attaquer tout l'édifice, qu'une brèche (cf. problème de frontières) n'envenime pas les rapports entre les résidents, que la mérule (cf. terrorisme) n'atteigne pas les principes fondateurs. Pour beaucoup, les jeunes en particulier qui ont toujours vécu sous un ciel clément dans l'UE, le toit semble inutile. Il pourrait être supprimé et transformé en terrasse panoramique plus propice aux fêtes et aux divertissements mais sans doute moins étanche et moins résistante pour faire face aux orages (cf. nationalismes) et aux vents violents (cf. racisme) susceptibles de venir de toutes parts.

Valeurs européennes

L'édifice européen est solide, à commencer par ses fondations, que l'on pourrait identifier aux valeurs européennes. Le rez-de-chaussée et les murs porteurs (traités, approfondissement et élargissement) ont permis à la construction communautaire de grandir sans flancher. L'espace Schengen et la zone Euro constituent deux belles pièces, agréables à vivre et pleines d'avenir. La gaine technique, ou la «mécanique communautaire», est parfois compliquée mais indispensable au bon fonctionnement de toute maison moderne. La PAC et les fonds structurels font l'objet de vifs débats et sont en rénovation quasi permanente. Les balcons sont une ouverture sur le monde utile tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la maison Europe. Le troisième étage, celui de la recherche et de l'éducation, doit encore subir de nombreux travaux afin de dévoiler tout son potentiel pour la première, et pour forger un substrat culturel commun pour la seconde. Finalement, le toit est le plus précieux de la maison. Les maîtres d'œuvre de demain ne doivent pas l'oublier.

Article paru dans l'Echo du 25 février 2006

L'Europe, ses craintes et ses audaces

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Europe : à vocation fédérale
Depuis la déclaration Schuman du 9 mai 1950 jusqu’au récent Traité constitutionnel signé le 29 octobre 2004 à Rome, les Chefs d’Etat et de gouvernement n'ont jamais unanimement et explicitement fait référence aux termes de « fédération » ou de « confédération » européenne. Les Etats - Six, Neuf, Dix, Douze, Quinze ou Vingt-cinq - ont toujours préféré parler de « Communauté » ou « d' Union européenne » (UE) pour définir ce système politique et institutionnel européen inédit que l’ancien président de la Commission Jacques Delors qualifiait parfois avec le sourire « d’OPNI » (Objet Politique Non Identifié).

Tout d’abord, essayons de définir le fédéralisme. Il s’agit d’une forme d’organisation politique qui s’efforce de trouver un équilibre entre les exigences d’unité et de diversité. Il ne signifie donc pas un abandon de souveraineté mais de l’exercice en commun de cette souveraineté. Il ne suppose pas la suppression des Etats qui restent essentiels pour deux motifs: sans eux, il n'y aurait pas de fédération et parce que la compréhension même du processus d'intégration européenne se fait largement par le biais du «prisme national». Bref, pour répondre à la réalité de l’Europe tiraillée tantôt par la volonté d’unification, tantôt par le retour en force des Etats ou des régions, le fédéralisme semble le système politico institutionnel à privilégier.

Ensuite, où en est le fédéralisme en Europe, qu’apporte le Traité constitutionnel et quels arguments nous poussent à dire que l’Europe est d’inspiration fédérale et qu’elle est vouée à devenir une fédération ?

En premier lieu, les différents Traités - de Paris (1951), de Rome (1957), de Maastricht (1992), d’Amsterdam (1997) et de Nice (2000) - présentent de grandes similitudes avec les Constitutions des Etats membres. On y retrouve les dispositions relatives au territoire, à l’organisation des pouvoirs, aux grandes libertés et aux modalités de révision du texte fondateur. Le récent « Traité de Rome II » va encore plus loin (intégration de la Charte des droits fondamentaux, etc.) et va jusqu’à porter le nom - très habilement choisi par le Président de la Convention Valéry Giscard d’Estaing - de « Traité constitutionnel ».

Secundo, le système de transfert de compétences - exclusives et résiduelles - s’est fait de la même façon dans l’UE que dans de nombreux Etats fédéraux. A l’échelle européenne, les Etats ont notamment passé de nombreuses compétences à l’UE en vue d’établir un marché intérieur. Il en va ainsi, par exemple, des mesures pour supprimer les obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, en matière de politique commerciale commune, de politique monétaire pour les pays de la zone euro, de règles générales de la concurrence, d’organisation commune des marchés agricoles ou d’éléments essentiels de la politique des transports. Mis à part ces compétences exclusives - d’attribution - de l’Union, les autres sont « partagées » entre l’UE et les Etats (environnement, cohésion, sécurité et justice, etc.) ou « d’appui », c'est-à-dire où l’UE n’intervient que pour compléter les actions des Etats membres (culture, industrie, tourisme, éducation, etc.). Le Traité constitutionnel offre l’avantage de clarifier cette distribution de compétences.

Tertio, la notion de subsidiarité trouve son application dans la plupart des systèmes fédéraux. Sur le plan européen, la subsidiarité a été inscrite dans le projet « Spinelli » de Constitution européenne - adopté par le Parlement européen le 14 février 1984 - et reprise ultérieurement dans le Traité de Maastricht et dans les différents Traités successifs. L'UE est supposée assumer les tâches que les Etats membres ne peuvent pas exercer séparément ou qu’ils exerceraient avec moins d'efficacité. En conséquence, l'action de l'Union est subsidiaire à celle des Etats. L’application rigoureuse de la subsidiarité s’inscrit parfaitement dans la logique du fédéralisme: les pouvoirs, les compétences, les devoirs et les obligations de chacun sont répartis en fonction de leur plus grande efficacité et proximité des citoyens.

Quarto, l’union monétaire, avec la responsabilité supérieure de la Banque Centrale Européenne au sein du Système Européen des Banques Centrales (SEBC) est déjà de nature clairement fédérale, et, le caractère officiel accordé par le Traité constitutionnel à l’Eurogroupe ainsi que la nomination pour deux ans de son président (actuellement Jean-Claude Junker comme Monsieur Euro) accroît le caractère fédéral de l’union économique et monétaire. Ainsi, la construction européenne dépasse le « sectoriel » : charbon et acier, énergie atomique, barrières douanières. Des prérogatives auparavant exclusivement nationales – battre la monnaie et, peut-être demain les compétences fiscales – passent progressivement à l’échelon européen. De plus, comme tout Etat fédéral, l’UE dispose d’une certaine autonomie financière grâce à ses recettes et en particulier à ses « ressources propres » (proportion de la TVA, droits de douane, prélèvements agricoles, pourcentage des PNB des Etats membres) même si dans ce domaine, la situation laisse encore à désirer.

Quinto, avec le nouveau Traité constitutionnel, l’UE peut sans doute être qualifiée « d’organisme politico-institutionnel sui generis à vocation fédérale ». D’abord, parce qu’on y retrouve les deux lois caractéristiques du fédéralisme: la loi de l’autonomie et la loi de participation. La première signifie que les entités fédérées - Régions, Landers, Cantons, Communautés ou Etats si on parle de l’Europe - ont des compétences propres et un mode d’organisation avec des pouvoirs exécutif, législatif et parfois judiciaire particuliers. La loi de participation indique que les composantes fédérées sont associées à l’énonciation de la volonté fédérale. Au niveau européen, ces lois d’autonomie et de participation sont fort ressenties puisque les Etats gardent beaucoup de compétences et qu’à travers le Conseil des Ministres, ils participent largement à la volonté de l’Union.

Sexto, deux ordres juridiques - des entités fédérées et de l’Etat fédéral - coexistent dans la plupart des systèmes fédéraux à travers un système bicaméral. La composition et les propositions de la Commission européenne sont ainsi soumises à l’approbation du Conseil et du Parlement européen. Le Traité constitutionnel rapproche cette situation du système bicaméral classique en réservant une approbation de la population au sein du Parlement et des Etats (au sein du Conseil) où le vote - selon des pondérations complexes - est remplacé par le principe « un pays un vote » pondéré, il est vrai, par un facteur qui tient compte de l’importance de leur population. Si ce système original n’est pas tout à fait conforme aux principes fédéraux, il s’en rapproche toutefois beaucoup.

Septimo, au niveau européen, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice Européenne, le droit communautaire prime sur le droit des Etats alors qu’il y souvent équipollence des normes au sein d’un Etat fédéral. En Belgique par exemple, la loi (nationale) et le décret (régional ou communautaire) sont sur un pied d’égalité. Il faut aussi rappeler que la Cour de Luxembourg incarne non seulement les fonctions de juridiction internationale mais elle est aussi la garante de l’unité d’interprétation du droit communautaire (comme les Cours de Cassation dans la plupart des Etats), de la légalité des règlements (comme le Conseil d’Etat en Belgique), et du respect de la Constitution par les législateurs (Cours Constitutionnelles ou, en Belgique, Cour d’Arbitrage).

En dernier lieu, toute fédération comporte une dialectique interne et permanente entre les forces centrifuges (au niveau des Régions, des Landers, des Cantons, des Communautés ou des Etats) et les forces centripètes visant à renforcer le pouvoir des institutions communes (fédérales). Depuis le début de la construction européenne, cette dialectique est bien présente. Les Etats ont toujours voulu garder leurs prérogatives (cf. à titre illustratif les nombreux exemples de la France du Général de Gaulle, de la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, de l’Espagne de José-Maria Aznar) alors que les institutions européennes essayaient de prendre de l’ampleur. Le cas du PE est flagrant : d’un pouvoir simplement consultatif, il s’est vu attribuer un pouvoir budgétaire pour progressivement assumer un pouvoir de coopération et finalement de codécision.

En conclusion, l’Europe semble décidément plus fédérale que confédérale sur le plan juridique même si l’énorme point noir de la construction communautaire et du Traité constitutionnel - l’unanimité - demeure dans de trop nombreuses politiques. L’Europe est en constante évolution et commence à se rapprocher politiquement et institutionnellement du système préféré des fédéralistes européens : celui où la supranationalité et la subsidiarité vont de pair, celui qui concilie bien commun européen et respect des diversités nationales et régionales. Si l’Europe a donc clairement une vocation fédérale, il lui reste à mieux refléter, aux yeux des citoyens, une véritable « souveraineté européenne ».

Domenico Rossetti di Valdalbero, Jean-Jacques Schul, Michele Ciavarini Azzi, Hubert de Viron, Pietro Emili, Claire Lodor, Yannick Bollati, Ivan Govers, Giordana Bruno, Pierre Bodiaux, Marcello Accorsi, Vjekoslav Smrkulj et Matteo Borsani
Union des Fédéralistes Européens-Belgique (fr.)

 

Le patriotisme, ferment de l'Europe.
Après la chute du Mur de Berlin, une notion faisait presque l’unanimité entre les spécialistes des affaires communautaires : celle du binôme élargissement-approfondissement. D’un côté, les conditions historiques étaient telles qu’il apparaissait inéluctable que la maison Europe allait s’agrandir et compter à présent deux étages : celui des Douze de l’époque (la Suède, la Finlande et l’Autriche n’étaient pas encore dans l’Union) et celui des nouvelles démocraties d’Europe Centrale. Le Président Mitterand et le Chancelier Kohl parlaient d’un devoir historique. De l’autre côté, afin d’éviter que l’Europe ne devienne une simple zone de libre-échange, il était impératif que des avancées fortes dans l’intégration européenne accompagnent cet élargissement sans précédent. Poussé par la Commission Delors, le Traité de Maastricht prendra acte de cette nécessité et permettra d’aboutir notamment à la monnaie unique.

Depuis plus de dix ans, il semble admis - ou en tout cas trop peu mis en évidence - que l’efficace concept d’élargissement-approfondissement perde sa deuxième moitié. Ne marchant plus que sur une jambe, l’Europe allait tituber d’Amsterdam à Rome en passant par Nice. Des avancées, il y en aura dans presque tous les domaines : institutionnel, économique, social et politique y compris dans des matières aussi délicates que la justice et les affaires intérieures ou la politique étrangère, de sécurité et de défense commune. Mais il faut se méfier des petits pas sans vision. Le grand écart et l’immobilisme sont au tournant. Les pères fondateurs de l’Europe, anciens ou récents, savaient qu’il fallait avancer doucement mais ils avaient aussi une perspective : la paix, le grand marché ou l’euro par exemple.

Aujourd’hui, à force d’être pragmatique, il semble qu’à chaque conférence intergouvernementale, sous des termes parfois opaques (contributeur net, minorité de blocage, …), les débats tombent d’un cran : tu me donnes X, je te rends Y, il obtient Z. Et s’il n’est pas question de marchandage, les questions deviennent à ce point technique que le quidam n’y voit pas beaucoup d’intérêt. Quel serait le taux de participation des citoyens européens à un référendum sur des questions du type : L’Europe doit-elle disposer d’une enveloppe budgétaire de 1,15% ou 1,21% du revenu national brut ? Préférez-vous une repondération des voix au Conseil ou un rééquilibrage proportionnel à la population au Parlement européen ?

Fédéralistes européens convaincus, nous estimons qu’il est temps que l’Union se donne un objectif ambitieux. D’après nous, il faut que l’Europe essaie de développer le patriotisme, ce sentiment noble qui a forgé les nations et qui peut, au XXIème siècle, refléter l’identité européenne. Ce patriotisme devrait évidemment être constitutionnellement et institutionnellement encadré pour éviter toute déviance ou tout risque de dégénérescence en fanatisme. Mais nous sommes confiants qu’un véritable patriotisme européen serait seul enclin à répondre aux défis de l’Europe de demain et à relancer le couple élargissement – approfondissement. Cela pour six raisons :

Un, la Constitution. Lorsque le seul mot Constitution européenne, norme suprême, semble être accepté par tous les Etats – y compris le Royaume-Uni – et que 77% de la population y est favorable (Eurobaromètre de février 2004), n’est-ce pas là une manifestation des liens forts qui existent entre citoyens de Nations différentes et une preuve de la volonté d’un vivre ensemble ? N’est-ce pas là une démonstration qu’il existe déjà un embryon de patriotisme européen ? Il faut à présent urgemment adopter cette Constitution pour ne pas laisser la possibilité aux égoïsmes nationaux de reprendre le dessus.


Deux, le gouvernement. L’Union définie par son caractère sui generis ou son triangle institutionnel (Commission, Parlement, Conseil) - assez éloigné de la séparation des pouvoirs de Montesquieu - est-elle facile à saisir ? Si l’idée d’un gouvernement fédéral européen avec un Exécutif clair, un Législatif bicéphale (Chambre des Etats et Chambre du Peuple européen) et un pouvoir judiciaire indépendant semble aller de soi comme pendant à la Constitution européenne, il demande - afin d’être légitimé - une intensification du sentiment d’appartenance commune, du patriotisme européen.

Trois, les frontières. Qu’il s’agisse de la Turquie, du Caucase, voire de la Russie, d’Israël ou du Maroc, où s’arrêtera l’Europe ? Si les arguments géographiques ou religieux ne sont pas convaincants, sans doute un patriotisme européen - révélé par exemple lors d’une consultation populaire - pourrait-il aider à tracer les frontières de notre Union ou Communauté. Fondé sur un substrat culturel chrétien et enraciné dans la philosophie de la raison, ce patriotisme reposerait notamment sur des valeurs telles que le respect des minorités, l’état de droit ou la fraternité avec les marginalisés.

Quatre, le protagonisme mondial. A l’heure des chocs entre civilisations, qui peut faire face au leadership idéologique, militaire, économique et culturel des Etats-Unis ? Sans un patriotisme européen fort, l’Europe, puissance pacifique - mais puissance quand même - aura des difficultés à imposer sa conscience morale et son corollaire pratique : multilatéralisme plutôt qu’unilatéralisme, négociation plutôt que coercition, diplomatie plutôt qu’usage de la force.

Cinq, la démographie. Même si l’idée semble conservatrice et parfois mal interprétée, comment affronter les questions de vieillissement de la population et des flux migratoires extérieurs sans une certaine dose de patriotisme européen ? Pour rappel, vers 1950, l’Europe représentait 22% de la population mondiale ; aujourd’hui, son poids est de 12% et en 2050, elle risque de n’en peser que 6%. Au niveau interne, au cours des cinquante prochaines années, l’Europe perdra plus de 60 millions d’actifs alors que les personnes âgées augmenteront de près de 50 millions.

Six, la cohésion. Au-delà du modèle social européen, au moment des choix décisifs sur les politiques européennes à mener, qui acceptera de continuer à consacrer un tiers du budget communautaire aux fonds structurels qui incarnent la solidarité entre plus riches et plus pauvres ? Pour être viable, cette cohésion économique et sociale a pourtant besoin d’un socle d’identité commune, d’un vouloir vivre ensemble. L’Europe se rapproche de celle dont parlait Montesquieu: « une nation composée de plusieurs nations dont chacune à besoin de l’autre ».

Notre souhait est que le bien commun européen prenne le dessus sur les intérêts nationaux. Celui-ci mérite notre adhésion. La relance de l’intégration européenne, déjà à Quinze mais encore plus à Vingt-cinq, passe par le développement d’un patriotisme européen. Inspiré des valeurs universalistes de l’Europe, loin d’être enfermé sur lui-même, ce patriotisme sera ouvert sur le monde. Il s’accommodera très bien d’une Constitution et d’un gouvernement européen. Il permettra de mieux définir nos frontières et de placer l’Europe au centre de l’échiquier international. Il limitera probablement la débâcle démographique et assurera la solidarité sur le long terme. Enfin, en évitant en même temps une dilution de l’Europe et un Directoire européen (où seules quelques grandes nations décident de l’avenir de tout le continent), il remettra sur pied le binôme élargissement-approfondissement et relancera l’Europe politique.

Par Gérard Deprez et Domenico Rossetti di Valdalbero,
respectivement Député européen et Secrétaire général de l’Union des Fédéralistes Européens (Belgique, fr.)


L'Union, légitime espace politique des Européens.
Alors que l’Union européenne (UE) se prépare à son plus grand élargissement et qu’elle est l’objet d’un intense débat de fond au sein de la Convention, il semble utile rappeler certaines de ses spécificités, trop souvent méconnues ou oubliées, et de déceler ainsi la forme politico-institutionnelle qu’elle commence à s’approprier.

Déficit démocratique ou triple légitimité ?

Du point de vue démocratique, le Parlement européen élu au suffrage universel depuis 1979 se compose de députés européens. S’il est encore trop tôt aujourd’hui pour parler d’un peuple européen formant un véritable « corps » tel la Commune, la Région ou l’Etat selon les circonstances, il est un fait que la citoyenneté européenne existe au niveau du choix démocratique des élus et que la barrière de la nationalité a été formellement abolie depuis Maastricht (une femme ou un homme politique belge peut ainsi se présenter sur une liste électorale de son pays ou d’un des autres Etats membres de l’UE).
Le Conseil des Ministres de l’UE, l’autre branche du pouvoir législatif européen, jouit également d’une légitimité populaire, même si indirecte. En démocratie parlementaire, les Ministres sont responsables devant leur peuple (national cette fois) qui, au travers d’un Parlement élu, lui accorde sa confiance.

Les intérêts particuliers, corporatistes ou des entités locales, sont aussi représentés à l’échelon européen. Le Comité Economique et Social réunit tant les employeurs que les syndicats et les autres forces de la société civile, notamment les organisations non gouvernementales (ONG) ; le Comité des Régions permet aux entités locales de faire valoir leurs positions. Les avis des ces institutions améliorent non seulement la qualité des initiatives communautaires mais surtout les rendent plus « concomitantes » aux réalités du terrain.

La capacité technique de la Commission européenne et des différents comités (tant des Représentants Permanents que ceux de consultation, de gestion et de réglementation qui accompagnent la Commission dans l’exécution de ses missions) fournit à l’UE la garantie de décisions objectives, rigoureuses et fondées sur le respect de l’intérêt général européen, celui des Etats membres et celui des divers secteurs concernés. En outre, dans un monde toujours plus complexe et surinformé, cette technocratie (terme trop souvent péjorativement utilisé) sert de prisme par lequel des questions éminemment techniques viennent traduites de façon politique et compréhensible à l’opinion publique.

Tour d’ivoire ou règne de la transparence ?

Tout d’abord, de par son processus législatif sui generis, le système politico-institutionnel et administratif européen est exemplaire quant à son ouverture sur le monde extérieur. Le seul suivi des publications au Journal Officiel des Communautés Européennes (JOCE) permet à tout un chacun d’être parfaitement au courant et même parfois de participer à la législation européenne. Ainsi, dans l’ordre chronologique, un Livre Vert lance le débat aux parties en jeu (« stakeholders » en anglais) qui ont l’opportunité de s’exprimer directement à la Commission ou un Livre Blanc donne les pistes d’action envisagées (telles mesures proposées afin d’atteindre tels objectifs) ou une Communication indique la politique avancée par la Commission. Ces documents n’ont pas de force contraignante mais ils offrent l’avantage de discuter des futures politiques en amont des décisions formelles du législateur européen. Viennent ensuite, par exemple, les Propositions de directive où les grandes lignes politiques des documents précédents sont précisées en objectifs quantifiés, répartis par Etats membres, par années, etc. Finalement, les Directives proprement dites (juridiquement contraignantes) sont adoptées par le Parlement européen et le Conseil après avis du Comité Economique et Social et/ou du Comité des Régions.

Ensuite, quelle autre administration que celle communautaire dispose d’autant de fonctionnaires que d’interlocuteurs de la société civile? Entre Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg, 20.000 fonctionnaires européens font tourner la machine communautaire (législation, politiques, programmes). Les lobbystes sont certainement aussi nombreux. Sous ce vocable, les représentants d’industries, des forces sociales, des régions, d’associations et d’ONG de tout secteur et de tout pays de l’UE et bien au-delà, essaient évidemment d’influencer le processus décisionnel communautaire à leur avantage mais permettent surtout un échange fructueux et quasi-permanent entre l’administration européenne et les acteurs socio-économiques. Bref, tout comme la technocratie, le terme lobbying est employé trop fréquemment de façon négative alors qu’il reflète de façon opérationnelle un processus par lequel les décisions « collent à la réalité » (cf. faisabilité économique, acceptabilité sociale, désirabilité environnementale).

Troisièmement, l’accès aux documents de l’UE mérite d’être mentionné. Qu’il s’agisse d’informations générales, de législation communautaire ou de publications techniques, les Info Points, les Centres de Documentation Européenne et les sites Internet (comme http://europa.eu.int) fournissent une quantité et une qualité de l’information qu’envient de nombreuses organisations publiques locales, régionales ou nationales. Le fait que Bruxelles soit l’une des villes les mieux couvertes par la presse internationale (cf. nombre de journalistes accrédités auprès de l’UE) et que tous les politiques et fonctionnaires européens disposent d’une adresse électronique facilite encore la communication entre l’Europe et l’opinion publique.

Fédération européenne ouverte ?

Les écrits d’Hamilton, Madison et Jay à la fin du XVIIIème siècle aux Etats-Unis sont assez révélateurs pour l’Europe d’aujourd’hui. Comment concilier les souverainetés contradictoires de l’ensemble (UE) et des parties (Quinze et demain Vingt-cinq Etats membres) ? Une Constitution européenne s’avèrerait certainement utile, notamment pour partager et délimiter les compétences nationales (voire régionales) et européennes. La majorité qualifiée (et l’élimination de l’unanimité) comme règle serait certainement la bienvenue pour privilégier la valeur européenne sur la valeur nationale. L’accroissement des compétences du Parlement européen renforcerait adéquatement le poids politique du peuple européen. La subsidiarité comme principe de base indiquerait pertinemment l’échelon de pouvoir à appliquer.

Mais au-delà de ces idées, maintes fois répétées à juste titre par les Fédéralistes européens (de Spinelli à Herman), il faudrait aussi et avant tout repenser la démocratie européenne en étendant la question du Qui fait quoi (UE ou Etats membres en Europe). Si au XXIème siècle, le Pourquoi de l’action européenne semble aller de soi (problèmes de dimension supranationale et au moins continentale comme l’environnement, l’immigration, la santé, le commerce, le crime organisé, etc.), les citoyens européens sont toujours plus préoccupés par le Comment.

Sans même parler des diverses procédures formelles, par exemple celle de la co-décision qui implique tant la Commission que le Conseil et le Parlement européen, les initiatives prises par Bruxelles sont parmi les plus discutées qui soient tant politiquement (commissaires, députés, ministres) que techniquement (fonctionnaires et experts). Par ses procédures et ses pratiques ad hoc, l’UE parvient à préserver l’intérêt général européen (Commission, Parlement européen) tout en considérant les intérêts des différents Etats membres (Comité des Représentants Permanents, Conseil, Comités) et des acteurs en jeu (notamment à travers les Livres Verts). Bref, à travers la question du « Comment sont prises et appliquées les décisions européennes » et ses réponses en termes de triple légitimité (démocratique, corporatiste/locale et technique) et de transparence (processus législatif, lobbying, accès à l’information), l’UE s’oriente petit à petit vers une fédération européenne ouverte et responsable vis-à-vis de l’ensemble de ses citoyens.


Gérard Deprez et Domenico Rossetti di Valdalbero
(respectivement Député européen et Fonctionnaire européen s’exprimant à titre personnel)


EUROPE ET TURQUIE : MARIAGE DIFFICILE.
Depuis la décision du Sommet de Copenhague (12-13 décembre 2002) d’élargir l’Union européenne (UE) aux pays d’Europe centrale et orientale, la « question turque » suscite d’houleux débats dans les capitales des Quinze Etats membres. Partisans et opposants à l’adhésion de la Turquie à l’UE s’expliquent, se justifient et s’affrontent. L’objectif n’est pas ici de prendre position mais d’exposer de la façon la plus exhaustive possible les raisons qui sous-tendent les « oui » et les « non » à la Turquie. Le lecteur, en connaissance de cause, pourra ainsi forger son opinion.

Le premier argument est d’ordre géographique : pour les opposants à l’adhésion, la Turquie n’étant que seulement partiellement sur le continent européen (jusqu’au détroit du Bosphore et des Dardanelles) ne remplit pas le critère d’Etat européen et cette « exception géographique » ouvrirait la porte à d’autres demandes émanant de pays comme le Maroc ou Israël ; pour les partisans de la Turquie dans l’UE, de nombreux cas spéciaux existent déjà pour des raisons historiques et Ankara est éligible au même titre que la Réunion, Ceuta ou la Guyane française.

Le second argument relève de la démocratie : pour les uns, les décisions en Turquie ne sont pas véritablement démocratiques puisque prises par un Conseil National de Sécurité composé en partie de militaires et ce lien entre le pouvoir politique et l’armée ne semble pas prêt d’être tranché ; pour les autres, Ankara suscite l’admiration au Moyen-Orient notamment en ce qui concerne le processus d’élection libre (depuis 1983) et la lutte contre le fanatisme et l’islamisme.

Le troisième argument s’apparente aux droits de l’homme : d’un côté, ceux qui estiment que des droits fondamentaux comme la liberté de presse (par exemple, pour les affaires kurdes) ou le traitement des prisonniers et les conditions d’incarcération ne satisfont pas aux critères européens ; de l’autre, ceux qui mettent en évidence les récents progrès accomplis par la Turquie (abolition de la peine de mort, levée des restrictions sur les langues minoritaires,…), la diversité des organes de communication (une vingtaine de télévisions, un millier de radios, plusieurs quotidiens) et le fait qu’Ankara soit membre du Conseil de l’Europe depuis 1950.

Le quatrième argument touche à l’identité culturelle et religieuse : les opposants à l’adhésion turque insistent sur l’aspect proprement occidental et chrétien de l’UE (mode de vie, type de société, civilisation, etc.) alors que les partisans de l’adhésion mentionnent la laïcité de l’Etat turc depuis la proclamation de la République par Mustapha Kemal en 1923 (suivi de profonds changements « occidentaux » - calendrier grégorien, alphabet latin, casquette au lieu du turban, etc.) et l’intérêt de s’ouvrir à un pays musulman - notamment aux yeux du monde arabe - pour démontrer le caractère multiculturel et multiconfessionnel de l’Europe.

Le cinquième argument soulève une problématique économique : ceux qui ne veulent pas de la Turquie dans l’UE font remarquer les 70 millions d’habitants et la dimension du pays (superficie égale à celle de la France et de la Grande-Bretagne réunies) associée à une infrastructure insuffisante (autoroutes, aéroports,…), une population active largement agricole (46%) et une richesse par habitant cinq fois inférieure à la moyenne communautaire, d’où, en cas d’adhésion, un coût pour l’UE probablement plus élevé que celui consacré au prochain élargissement à dix pays d’Europe centrale et orientale, un risque de débâcle de la politique agricole commune et des fonds structurels ; les personnalités en faveur de l’adhésion turque parlent du faible taux de naissance de l’UE et de la pénurie de main d’œuvre pour l’avenir (explosion du système des pensions) qui pourrait être comblée en partie par des travailleurs turcs qualifiés.

Le sixième argument a trait à la géopolitique : pour certains, avec la Turquie, les frontières de l’UE - aux portes de l’Iran - deviendraient ultra-sensibles et les risques d’importer des crises augmenteraient (Kurdes, Haut-Karabakh,…); pour d’autres, au contraire, la Turquie – membre de l’OTAN depuis 1952 – dans l’UE serait une source de stabilité régionale (intégration dans les mécanismes européens sur le plan diplomatique et surtout économique dont elle est déjà associée depuis 1963 et dans les rouages atlantiques pour les questions de sécurité et de défense).

Le septième argument est démographique et institutionnel : demain avec plus de 80 millions d’habitants, la Turquie sera le pays le plus peuplé d’Europe (récession démographique attendue en Allemagne) et ayant dès lors le plus de voix au Conseil des Ministres de l’UE et le plus de députés au Parlement européen ; ceux en faveur de la Turquie expliquent que dans une Europe élargie à plus de 500 millions d’habitants, les Turcs n’auront pas plus de poids que les Allemands dans l’Europe des Quinze et que, de toute façon, les majorités et les « minorités de blocage » seront revues à la hausse.

Le dernier argument concerne l’immigration et l’opinion publique : pour les uns, la Turquie dans l’UE signifie – avec la libre-circulation des personnes – des milliers voire des millions de migrants venir dans les zones économiquement plus prospères d’Europe et engendrer de graves problèmes sociaux (intégration) ; les personnes favorables à l’adhésion turque insistent sur la mobilité réduite - historiquement prouvée - entre Etats membres, en tout cas pour les couches sociales défavorisées, pour des raisons de langue, de foyer, de famille, etc.

Bref, et sans parler de la présence armée turque à Chypre depuis 1974 où opposants et partisans de l’adhésion concordent, la question turque est bien ouverte. A long-terme, la réponse qui lui sera donnée par les Chefs d’Etat et de Gouvernement européens – et in fine par les citoyens européens à travers les référendum ou par l’intermédiaire de leurs parlements - transformera les mentalités tant en Turquie que dans l’UE.

Gérard Deprez et Domenico Rossetti di Valdalbero

Président et membre de l’Excécutif du MCC (MR)

 

 

 

 

 

 


  Gérard DEPREZ, Sénateur, Président du MCC. 50 rue de la Vallée, 1000 Bruxelles. Tél: 02/642 29 99 - Fax: 02/642 29 90.