Interview de Gérard Deprez sur...

L'élargissement
la Turquie
la Constitution européenne

L'ELARGISSEMENT: NOTRE EUROPE DOIT PARLER D’UNE SEULE VOIX

Q : L’élargissement à 10 nouveaux pays, c’est une bonne chose pour nous ?

Oui. L’élargissement à l’Est met fin à une division artificielle de l’Europe qui a duré un demi-siècle, à cause de l’oppression communiste. Réunifier notre Europe n’est pas seulement un choix, c’est un devoir démocratique.

Q : Pourtant, beaucoup de gens sont contre…

Je peux le comprendre : beaucoup de ces pays sont mal connus, c’est une partie de la famille européenne qui paraît lointaine. Il faudra apprendre à se connaître et à se respecter. Mais la « Nouvelle Europe » va apporter beaucoup à la « Vieille » : les jeunes y sont très bien formés, leur ardeur au travail est reconnue, leur volonté de réussite est immense…

Q : Ca va nous coûter cher ?

Aujourd’hui, ça nous rapporte. Nous gagnons de l’argent dans notre commerce avec les 10 nouveaux pays. En plus, leur croissance économique, qui est bonne, soutient la nôtre qui est plutôt faible. Budgétairement, de 2004 à 2006, l’élargissement ne coûtera que 26 euros par personne et par an. Est-ce trop cher ? Je ne pense pas.

Q : Ne faut-il pas craindre une arrivée massive des travailleurs de ces pays chez nous?

Non. On avait déjà cette peur quand l’Espagne, le Portugal et la Grèce ont adhéré et ça ne s’est pas produit. En outre, pratiquement tous les pays de l’Ouest (13 sur 15) ont pris des mesures de restriction à la liberté de circulation des travailleurs venant des nouveaux pays. Concrètement, ces travailleurs ne pourront pas venir s’établir à l’Ouest s’ils ne disposent pas, au préalable, d’un permis de travail en bonne et due forme.

Q : Et les délocalisations ?

C’est plus préoccupant. Des entreprises d’ici peuvent être tentées d’aller s’installer là-bas : les salaires sont plus bas et la fiscalité des entreprises beaucoup plus clémente. Mais cela ne durera qu’un temps : les salaires augmentent déjà très vite à l’Est et l’harmonisation de la fiscalité des entreprises est inscrite à l’agenda européen. Au bout du compte, c’est toute l’industrie européenne qui se renforcera.

Q : Au bout du compte, c’est quand ?

Ecoutez, le vrai risque pour les délocalisations de demain, ce n’est pas la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie ou la Slovaquie. Le vrai risque, il est en Chine, en Inde et plus généralement dans le Sud-Est asiatique. C’est cela le grand défi pour l’industrie européenne de demain. Et c’est pour cela qu’il faut renforcer l’Europe : au lieu de se battre entre nous, il faut tenir tête au reste du monde.

Q : Comment ?

D’abord, il faut donner à l’Europe la puissance nécessaire et la faire parler d’une seule voix. Ensuite, il faut renforcer les organisations qui gèrent et contrôlent la mondialisation au lieu de les dénigrer comme le font certains exaltés de l’altermondialisme. Enfin, il faut promouvoir et exporter le modèle européen d’économie sociale de marché. Il faut, par exemple, exiger de la Chine et de l’Inde qu’elles respectent les Droits de l’Homme, qu’elles autorisent la liberté d’association, qu’elles interdisent le travail des enfants.


LA TURQUIE N’EST PAS EN EUROPE

Q : L’Europe vient de décider d'engager des négociations d’adhésion avec la Turquie. Qu'en pensez-vous ?

Personnellement, je n'étais pas en faveur de l’ouverture de négociations avec la Turquie.

Q : Pourquoi ? Vous êtes contre l’adhésion de la Turquie ?

Je suis contre. Pour moi, la Turquie n’est ni géographiquement, ni culturellement, ni sociologiquement, un pays européen. Je regrette qu’en catimini, sans véritable débat préalable, le Conseil européen lui ait donné le statut de candidat.

Q : Que faire alors avec la Turquie ?

La Turquie est un grand pays qui est et qui restera un voisin et un allié. La meilleure solution, selon moi, serait de négocier avec la Turquie un partenariat privilégié dans tous les domaines d’intérêt commun. Ce statut de partenaire privilégié pourrait d’ailleurs être proposé à d’autres pays voisins de l'Union européenne; je pense notamment à l'Ukraine, à la Biélorussie, à la Moldavie, et pourquoi pas, à la Russie.

Q : Vous êtes un peu seul, non ?

Je ne le crois pas. Le seul moyen de savoir ce que veulent les Européens, c’est de le leur demander. C’est pourquoi je me bats pour que son adhésion soit décidée par un référendum européen. C’est aux Européens eux-mêmes qu’il appartient de définir la nature et les limites de "notre" Europe.


NOS GENES FONDATEURS : CHRISTIANISME, HUMANISME LAIQUE, CIVILISATION GRECO-ROMAINE.

Q : On dit que vous auriez voulu une référence au christianisme dans la Constitution européenne ?

Oui, je suis partisan d’une référence au christianisme dans le préambule de la Constitution. Pour moi, il est impossible de définir l’identité européenne en escamotant ce que le christianisme nous a apportés dans le domaine religieux mais aussi dans le domaine des arts, de l’architecture, de la peinture, de notre conception de l’homme.

Q : Vous voulez une Europe chrétienne ?

Ce n’est pas mon rôle. Je ne veux pas cléricaliser l’Europe. Je veux simplement que les Européens assument ce qu’ils ont été et ce qu’ils sont. C’est l’Europe qui a inventé la laïcité dans son corps à corps avec le christianisme. C’est elle qui a fait la part de ce qui est à César et de ce qui est à Dieu.

Q : Vous n’avez pas peur que les incroyants soient choqués !

Non. Je voulais aussi, dans le préambule, une référence à l’humanisme laïque, à la civilisation gréco-romaine. Pour moi, ce sont les trois gènes fondateurs de la civilisation européenne. Je pense d’ailleurs profondément que les chrétiens et les laïques devraient aujourd’hui redécouvrir leur fraternité – ils sont issus d’une même matrice – pour répondre ensemble à l’intolérance et au fanatisme qui nous menacent tous.

L’Europe, ce n’est pas seulement un grand marché, c’est d’abord une civilisation.


  Gérard DEPREZ, Sénateur, Président du MCC. 50 rue de la Vallée, 1000 Bruxelles. Tél: 02/642 29 99 - Fax: 02/642 29 90.